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En Roumanie, la communauté rom reste fortement ségréguée. Dans le bidonville de Pata Rât à Cluj-Napoca, des enseignants et travailleurs sociaux se battent pour pousser les enfants du ghetto à rejoindre, et surtout rester à l’école. Une lutte peu soutenue par les autorités locales. 

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Environ 1000 enfants vivent dans le bidonville de Pata Rât. © Adrien Fuzellier

À cinq kilomètres du prisé centre-ville de Cluj-Napoca, les collines verdoyantes de Pata Rât abritent l’un des plus vastes bidonvilles du pays. Entre les centaines de cabanons faits de bric et de broc, des tas d’ordures et des détritus parsèment les chemins boueux. Environ 1 600 Roms dont un millier d’enfants vivent à seulement quelques mètres d’une décharge illégale, sans eau courante, ni chauffage. Symbole de la misère sociale d’une minorité discriminée, à Pata Rât les bambins grandissent exclus et franchissent timidement les portes de l’école. Au collège Traian Dârjan, à deux kilomètres d’ici, trois, peut-être quatre élèves viendront assister au cours ce matin-là, sur une classe d’une vingtaine de têtes. La grande majorité habitent le ghetto. Au fil des dernières années, les enfants roumains non issus de la communauté ont déserté l’établissement. « Ils étaient séparés des Roms dans des bâtiments distincts, mais les problèmes de comportement, les bagarres, ont fait fuir les familles », pointe Sergiu, un enseignant. Aujourd’hui, le collège est aussi ségrégué que vide. 

« C’est un combat quotidien pour convaincre les parents d’envoyer leurs enfants en cours », soupire le professeur qui se rend à Pata Rât presque chaque après-midi. « Ils ne considèrent pas que l’école est importante. Il y a une forte tradition d'éducation intra-familiale. » Gamins sous le bras, les femmes sont souvent cantonnées à un rôle de mère de famille. « Je suis née ici et aujourd’hui, j'élève mes huit enfants. Je dors à même le sol, comme un chat », plaisante une femme âgée d’une quarantaine d’années. Son sourire laisse apparaître une bouche édentée. Les mains abîmées, les hommes travaillent pour la plupart dans la décharge, souvent avec l’aide de leur progéniture. « Une grande partie des adultes ne savent ni lire, ni écrire. Cette génération a subi de fortes ségrégations depuis des décennies et ils ont peur pour leurs enfants, peur qu’ils soient maltraités, analyse la sociologue Cristina Raț. La ségrégation sociale et la précarité causent inévitablement une ségrégation scolaire. » 

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Pata Rât voit le jour dans les années 60. Le quartier "Dallas" est le plus ancien des quatre sous-quartiers du ghetto et a déjà vu passer plusieurs générations de Roms.  © Adrien Fuzellier

« Les autorités locales agissent comme des ONG »

Pour tenter d’attirer les jeunes élèves sur le chemin de l’éducation, les services sociaux municipaux (DASM) ont entrepris divers projets. À Traian Dârjan, les enfants peuvent manger un repas chaud, nettoyer leurs vêtements et prendre une douche. À la rentrée, la DASM fournit du matériel scolaire, un bref programme de soutien extra-scolaire avait aussi été instauré. Mais pour la conseillère municipale d’opposition Alexandra Oanǎ (USR - centre droit), ces initiatives paraissent bien insuffisantes. « Les autorités locales agissent comme des ONG, et ne prennent pas leurs responsabilités en mettant en place une véritable stratégie à long terme pour insérer ces jeunes. Il y a une grande indifférence des pouvoirs publics envers la minorité rom », dénonce celle qui est aussi enseignante. «  Nous agissons, mais nous ne pouvons pas nous substituer à l’État ou à l’école, balaye le directeur exécutif de la DASM, Aurel Mocan, tout ne peut pas venir de la municipalité. Il y a aussi des difficultés d’intégration qui tiennent de la mentalité de cette population. »  Depuis son élection en décembre 2020, Alexandra Oanǎ et son parti progressiste et europhile essaient d’aller plus loin. Sous leur impulsion, un centre sera bientôt installé au sein du bidonville comprenant, entre autres, un espace pour travailler et une salle informatique. « Des Pata Rât il y en a partout dans le pays, et ce sont tous des bombes à retardement. Nous avons les moyens d’agir et il faut le faire tant que cela est possible. »

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Dans le préfabriqué situé au coeur du ghetto, des adolescents assistent à des cours de soutien en mathématiques. © Iris Bronner

Des bénévoles et une petite équipe de travailleurs sociaux de la région métropolitaine de Cluj (ZMC) tentent, tant bien que mal, de compenser l’inertie des politiques locales. Deux fois par semaine, des cours de mathématiques, de langue roumaine et une permanence avec une psychologue sont proposés à une vingtaine d’adolescents de Pata Rât. « Ce sont surtout des élèves dans des classes charnières d’examen », explique une travailleuse sociale.

« Je veux devenir coiffeuse et vivre en ville »

Ce jeudi après-midi, l’activité, habituellement tenue dans des locaux au centre-ville, se délocalise au sein du bidonville. « Nous avons eu beaucoup d'absents récemment. Les cours en ligne et les confinements ont été dévastateurs. On a donc décidé de se rapprocher », justifie Cristina Roman, psychologue. À bord d’un van, l’équipe sillonne Pata Rât pour convaincre les jeunes d’assister à la séance. Aux côtés des membres de la ZMC, Alexandru Feteche est une figure familière dans le ghetto. Après avoir vécu cinq ans à Coastei, l’un des quatre sous-quartiers de la décharge, il est, depuis 2017, un militant actif pour la communauté. « Ils ont refusé l’inscription de ma fille à l’école à cause de notre adresse, est-ce que tu peux faire quelque chose ? », l’interpelle une mère de famille, assise devant une maison aux murs décrépis, une cigarette entre les doigts. « Je suis le pont entre la communauté et les autorités », résume le gaillard à la longue barbe et aux bras tatoués. 

Plus loin, au plus près de l’odorante montagne de déchets, « la rampe »zone la plus pauvre de Pata Rât. Ici, les enfants passent leur journée à errer dans les détritus et les bris de verre, certains consomment déjà des substances. Adela, 16 ans, n’a pas mis les pieds en cours depuis une semaine. « J’ai mal au ventre », justifie l’adolescente aux cheveux emmêlés auprès de Cristina, la psychologue de la ZMC. Pendant une heure, dans le préfabriqué servant aussi de salle de classe, Cristina prend le temps de discuter avec la jeune femme. « On essaye d’élaborer un projet professionnel ensemble », explique celle qui fait aussi office de conseillère d’orientation. Adela rêve de devenir coiffeuse, comme sa soeur aînée, seule membre de sa famille à être sortie des griffes du ghetto. « Je ne veux pas travailler dans la décharge comme mon père. Je veux vivre en ville. Et mes parents veulent que je devienne quelqu’un », assure l’adolescente qui l’a promis, retournera, peut-être, à l’école lundi.

Iris Bronner

Les Roms en Roumanie

Selon les estimations, entre 245 000 et 2,5 millions de Roms vivraient en Roumanie, faisant de cette communauté la deuxième minorité ethnique du pays, après les Hongrois. À Cluj, ils seraient environ 10 000. Loin d’être une communauté homogène, une vingtaine de sous-minorités, aux langues, traditions et statuts sociaux divers existent. Esclaves jusqu’au XIXe siècle, persécutés au cours de la Seconde Guerre mondiale puis mis à la marge depuis des décennies, les Roms restent globalement mal considérés par les citoyens roumains. « Il y a un racisme très ancré en Roumanie », pointe Alexandra Oanǎ, élue à la mairie de Cluj. « Il n’y a aucune reconnaissance de l’identité et de l’histoire roms », tranche Cristina Raț, sociologue.
 

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