Déforestation, corruption, coupes illégales, les forêts de Roumanie semblent souffrent de bien des maux. Mais sont-elles réellement menacées ? Cristian Neagoe, porte-parole de Greenpeace et Laura Bouriaud, professeure à l'université de Suceava exposent leur point de vue.
Le secteur forestier contribuant à 3,5 % du PIB du pays, les forêts sont convoitées tant par l’État roumain, que la population ou les entreprises. Privatisées pour moitié depuis la chute du régime communiste, elles recouvrent 24,4 % du territoire, contre 31 % en France.
« De manière générale, nos forêts perdent en qualité et en densité »
Cristian Neagoe,
Porte-parole de Greenpeace Roumanie, section Forêts et Biodiversité
« La superficie des forêts croît d’année en année, c’est un fait. Mais ça ne veut pas dire qu’elle se porte bien ! Il y a d’abord le problème des coupes, et notamment celles qui sont illégales, c’est-à-dire celles qui ne respectent pas les quotas ou les types de bois prélevés. D’après nos données, pour chaque tronc abattu légalement, un autre est volé. La corruption est encore très présente dans le secteur forestier et elle touche tout le monde, de celui qui coupe le bois, à l’entreprise qui l’achète, en passant par les autorités publiques qui ferment les yeux.
De manière générale, la forêt perd en qualité et en densité. Les propriétaires sélectionnent les essences qui ont le plus de valeur et les arbres les plus anciens. En faisant cela, ils privent la forêt d’un écosystème robuste, qui résiste aux intempéries. En résumé, ils l’affaiblissent. Après les coupes, lorsque le reboisement est fait — ce n’est pas toujours le cas —, il n’est pas réalisé correctement. Les administrateurs des forêts se contentent de replanter des monocultures puisque ça rapportera davantage à la prochaine coupe, et tant pis si cela appauvrit l’écosystème.
Quand on dit que la forêt est menacée, on ne parle pas seulement des arbres mais aussi des animaux qui y vivent. À dégrader et réduire leur habitat, à raréfier leur nourriture, ils sont forcés de se déplacer jusqu’aux villages. C’est le cas des ours et des loups. On les rend vulnérables, on les affame et après on les tue parce qu’ils sont trop proches de chez nous. C’est insensé.
À Greenpeace, on ne demande pas d’arrêter les coupes pour autant, le bois reste une ressource dont nous avons besoin. Mais on souhaite une gestion durable des forêts et une meilleure protection de nos forêts primaires, ces poches de biodiversité que nous avons la chance de toujours abriter. »
« Il y a une forte biodiversité et des écosystèmes stables »
Laura Bouriaud,
Professeure à la faculté de sylviculture de l'université Ștefan cel Mare de Suceava
« Les forêts de Roumanie sont surtout situées en montagne donc elles n’ont pas subi la même pression de l’agriculture que d’autres pays. La plupart sont établies aux mêmes endroits depuis des centaines d’années, il y a une forte biodiversité et des écosystèmes très stables. En général, elles sont en très bon état. De plus, après la Seconde Guerre mondiale, le choix a été fait d’avoir des forêts denses, avec de grands arbres coupés au bout de 100 ans. Donc les forêts fonctionnent, dans leur très grande majorité, sur la base de la régénération naturelle.
L’important traitement médiatique et les nombreux signaux d’alarme actuels doivent être interprétés comme une forme de prise de conscience publique sur l’importance de la forêt. On parle beaucoup des coupes illégales alors que ce n’est pas ce qui menace réellement les forêts roumaines. À mes yeux, le réchauffement climatique et la mauvaise gestion des forêts sont des menaces bien plus importantes. En Roumanie, il y a énormément de corruption, de réglementations et de bureaucratie. On ne laisse quasiment pas de marge de manœuvre aux personnes qui gèrent les forêts sur le terrain : elles ne peuvent pas observer, essayer, apprendre de leurs erreurs. Par exemple, si un gestionnaire forestier choisit d’agir pour répondre à un changement brutal dans son bois, il entre dans l’illégalité.
Les accusations sur la mauvaise gestion de la forêt expriment aussi un mécontentement social. Il y a un décalage entre les attentes de la population vis-à-vis de cette ressource et son utilisation actuelle. Elle ne remplit pas bien ses rôles économique, de protection de la biodiversité ou même récréatif, alors qu’elle devrait être gérée en fonction de cela. Pendant des décennies, la politique a consisté à exclure physiquement les gens de la forêt mais ce n’est pas la bonne solution. Je pense que la forêt peut satisfaire tout le monde et répondre à tous nos besoins : nous chauffer, nous protéger, garder une forte biodiversité, produire de l’argent, être un lieu de détente. »