En dix ans, le kebab a su trouver sa clientèle sur la route des Romains où son commerce domine. Pour résister au contexte de concurrence qui s’est imposé et continuer à faire vivre leurs enseignes, les restaurateurs innovent.
Route des Romains, les enseignes de restauration rapide se succèdent. Entre le n°17 et le n°134, huit kebabs sont installés sur moins d’un kilomètre, deux d’entre eux ont mis la clé sous la porte laissant leurs locaux inoccupés. Au premier abord, les restaurateurs ne définissent pas ce contexte concurrentiel élevé comme un frein économique : la clientèle repose avant tout sur la fidélité. L’offre est homogène, le prix du sandwich n’excède pas 5,50 euros. Pour "attirer de nouveaux clients", Laurent Ulgur, propriétaire du restaurant Lokanta depuis 2013, reconnait tout de même avoir dû élargir sa carte y ajoutant pizza et tartes flambées. Le tacos, qui s’impose de plus en plus dans les fast-food français, a fait son apparition Au Soleil d’Istanbul dans cette même logique de diversification.
Un secteur devenu "difficile"
Ouverts tous les jours, jusqu’à minuit pour la plupart, les tenanciers de kebabs travaillent seuls ou en effectifs restreints. Pas plus de quatre employés, pour limiter leurs charges et maintenir leur activité. "À partir de 15 h, je suis seul pour réaliser le service en salle et la préparation des commandes. Je ne peux pas me permettre de payer une serveuse en période d’heures creuses", déclare Laurent Ulgur, qui ajoute aussi que sa femme l’aide à la gestion de son établissement. Christophe Kaya qui a ouvert son affaire, Au Soleil d’Istanbul, il y a huit ans, rembourse toujours le crédit de son fonds de commerce : 1300 euros par mois. "Le kebab n’est plus un business qui tourne aujourd’hui, le pouvoir d’achat a diminué et, pour huit euros, une famille préférera acheter des pizzas surgelées chez Auchan", affirme-t-il.
© Pierre Boudias
Les restaurateurs qui prospèrent sur l’axe routier exercent ce métier depuis plus de vingt ans. Ils pointent le manque d’expérience de leurs concurrents contraints à la fermeture.
Viande de veau sur broche. © Loana Berbedj
Au n°41, Harun Hurug a ouvert un nouveau kebab il y a deux mois, suite à la fermeture de son ancien établissement quelques numéros plus loin dans la rue, avec pour argument de vente : la qualité de ses produits, issus de l’élevage local et confectionnés sur place. "En général, les restaurateurs se fournissent en Allemagne car la viande est moins chère et directement livrée sur la broche", explique le cuisiner, qui débite chaque jours 7 kilos de poitrine de veau qu’il assaisonne et embroche lui-même. Sur la route des Romains, My Döner est seul à proposer de la viande de veau. Comparé aux autres restaurants, Harun Urug fait le choix de pratiquer des prix plus élevés et de restreindre sa carte à un seul savoir faire. Pour lui, "se diversifier pour mieux régner" n’est pas un signe de qualité.
Loana Berbedj