Véritable enjeu local, la rénovation des friches de Schiltigheim mobilise habitants et municipalités successives. Entre besoin en logements, cadre de vie et intérêt patrimonial, les aspirations sont nombreuses et parfois contradictoires.
Il faut s’imaginer un vieux bâtiment, jaune clair, de plus de 20 mètres de haut, surmonté de deux cheminées et d’une enseigne imposante : Brasserie Fischer. À 150 mètres du panneau d’entrée de Schiltigheim, s’affiche déjà le passé brassicole de la cité. La route de Bischwiller commence ici son chemin vers le nord, flanquée de ce qui reste des anciens poumons industriels de la ville : Fischer, mais aussi Quiri, France Télécom, Schutzenberger, ou encore Caddie.
Depuis peu, l’enseigne phare de la brasserie Fischer côtoie un énorme étendard mauve : Cogedim, vous verrez la différence. En une dizaine d’années, la deuxième ville de l’Eurométropole de Strasbourg est devenue un véritable eldorado pour les promoteurs. À tel point qu’aujourd’hui, la municipalité écologiste cherche, tant bien que mal, à réduire le nombre et la taille des projets immobiliers. “En un an, nous avons refusé plus de permis [de construire] que lors des quinze dernières années”, décrit Patrick Maciejewski, adjoint à l’écologie et à l’urbanisme. “20 à 30 permis, petits ou grands, ont été refusés cette année.” Mais il est difficile de stopper des projets lancés par les municipalités précédentes, au sujet de friches dont tout le monde s’accorde à dire qu’il faut les transformer.
© Géraud Bouvrot © Nils Sabin
Va-et-vient municipal
Pendant la dernière décennie, les anciennes brasseries de la ville et les anciens sites industriels comme Quiri (froid artificiel) ou Caddie (chariots de supermarché) ont surtout été des bâtiments à l’abandon qui ternissaient l’image de la ville. Avec la multiplication des friches entre 2006 et 2013, les projets immobiliers ont fleuri, parfois au grand dam des habitants. C’est le cas des sept tours de sept étages, prévues en 2009 sur le terrain France Télécom. La forte mobilisation citoyenne aura finalement raison du projet.
En 2011, un projet de zone d’aménagement concerté (ZAC), couvrant 11,8 hectares de friches industrielles, veut tenter d’harmoniser la réhabilitation du secteur. Mais l’équipe municipale suivante et son maire Jean-Marie Kutner (UDI) préfèrent finalement négocier au cas par cas avec les promoteurs immobiliers. “Bien que ce soit plus difficile à mettre en place, [la ZAC] aurait permis une gestion coordonnée du développement urbain”, explique Louisa Krause, présidente de l’association Col’Schick, qui lutte pour un urbanisme de qualité et cohérent à Schiltigheim.
Plusieurs projets sont enfin mis sur les rails à partir de 2015. Dès 2018, les friches France Télécom et Quiri laissent la place aux nouveaux lotissements Quartz et Urban Side. Une urbanisation rapide qui ne fait pas l’unanimité. “Il y a eu un passage en force de Kutner, il a accordé un maximum de constructibilité”, souligne Louisa Krause à propos du projet Quartz. Un ensemble que Patrick Maciejewski estime “trop dense : il y a pratiquement 300 logements sur un hectare.”
Aujourd'hui, le rythme des projets ralentit. Mais il faut désormais régler le manque de places de stationnement. Sur le quartier Fischer par exemple, en plus des 610 logements annoncés, sont aussi prévus une école, une librairie, et un cinéma MK2. “Tout ça sur un site de 5,5 hectares. Il est où le stationnement dans tout ça ? Parce qu’il n’y aura pas assez de parking”, critique Louisa Krause.
Inclure le patrimoine
Se pose aussi la question de la conservation du patrimoine industriel, qui reste un symbole de Schiltigheim. Le lotissement Urban Side intègre l’ancienne structure métallique de l’usine Quiri conservée par l’agence d’architecture S&AA. “J’aime bien cet aspect industriel, qu’on nous a présenté à l’achat”, confie Michaël, 35 ans, propriétaire d’un duplex depuis deux ans.
Juste à côté, il était prévu que le site Fischer soit intégralement rasé. Mais les recours portés par des associations, ainsi que l’intervention d’un architecte des bâtiments de France, ont permis de revoir le nombre de logements à la baisse, et de garder plusieurs éléments du site. La malterie, la cheminée ou le palais Fischer vont être conservés, et l’intérieur réaménagé. “Lorsqu’elle était adjointe à l'urbanisme, Danielle Dambach [maire depuis 2018] a cherché à mettre certains bâtiments historiques en avant, pour donner une nouvelle image à la ville”, confie Andrée Buchmann, adjointe au patrimoine. Le but étant de ne pas renouveler l’expérience du lotissement Quartz, qui n’a rien conservé de l’ancien site France Télécom et qui, par sa densité, cristallise les débats autour du stationnement.
La façade au premier plan est une reproduction à l’identique de celle de l’usine Quiri. La structure métallique est celle de l'ancien pont roulant. À l'arrière, se dessine le bâtiment jaune clair de la brasserie Fischer. © Laura Remoué
Quiri n’a pas totalement quitté Schiltigheim, une partie du site est désormais remplacée par le lotissement Urban Side. Les bureaux, qui donnent sur la route de Bischwiller, sont toujours occupés. © Nils Sabin
En 2015 et 2016, des festivals sont accueillis sur le site Schutzenberger (second plan), quelques tournages ont également lieu. Mais depuis la mort de Marie-Lorraine Muller, l'héritière principale, en octobre 2016, tout est au point mort. © Géraud Bouvrot
© Géraud Bouvrot © Nils Sabin
S'affranchir du tout logement
Lancés en 2018, les travaux sur le quartier Fischer s’étaleront au moins jusqu’en 2024. Mais les premiers logements et le groupe scolaire Simone-Veil devraient être livrés dès 2021. “Il y aura des accessions à la propriété pour des familles, des logements sociaux, une résidence intergénérationnelle, essentiellement pour des seniors, avec une crèche au rez-de-chaussée”, explique Philippe Kindo, directeur régional du promoteur Cogedim.
Au rayon des friches, il reste encore l’ancienne brasserie Schutzenberger dont les projets sont au point mort depuis le décès de l’héritière en 2016. Mais cela n’empêche pas la mairie de penser à la reconversion. “Pourquoi pas créer un centre de balnéothérapie ou encore un musée de la bière car il n’y a aucun lieu sur notre territoire [de l’Eurométropole] dévolu à la bière”, imagine Andrée Buchmann.
Après une période de construction tous azimuts sur ses anciens sites industriels, Schiltigheim essaye de trouver sa propre voie. En plus de mettre un frein au tout-logement, la conservation de son patrimoine pourrait même devenir un atout considérable pour le rayonnement de la ville, avec le développement du tourisme brassicole.
Géraud Bouvrot et Nils Sabin