© Sarah Dupont et Camille Lowagie
À Schiltigheim, les cyclistes dénoncent l'insécurité qui règne sur la route de Bischwiller. Élus locaux et associations pro-vélo s’accordent sur la nécessité de nouveaux aménagements cyclables, mais divergent sur les objectifs et la façon de les concrétiser.
“J’évite le plus possible de prendre cette route à vélo avec les enfants, c’est tellement dangereux que si je l’emprunte je préfère monter sur les trottoirs…”, confie Maud Trabin, une mère de famille schilikoise à propos de la route de Bischwiller. Absence de pistes cyclables, route étroite et trafic automobile important, cet axe est redouté des cyclistes. Une nécessité d’aménagement reconnue par la municipalité et par les associations pro-vélo.
Pour la nouvelle municipalité écologiste, au pouvoir depuis 2018 et réélue en juin 2020, l’enjeu est de taille. “Notre objectif est d’apaiser la circulation sur la route de Bischwiller grâce à une politique de mobilités douces. L’un de nos projets est de prolonger la piste cyclable sud de l’ancienne brasserie Fischer jusqu’à la médiathèque”, expose le premier adjoint Patrick Maciejewski, chargé des mobilités.
“Il faut faire de la place aux vélos et instaurer un maillage cycliste sécurisé”, revendique Benoît Ecosse, du mouvement Vélorution. “Entre la mairie qui a été pro-voiture pendant vingt ans et la présidence de Robert Herrmann (2014-2020) à l’Eurométropole qui a mis beaucoup de bâtons dans les roues concernant les aménagements cyclables, Schiltigheim doit rattraper son retard”, déclare Dominique Montero, co-présidente de Cadr67, association partenaire de l’Eurométropole et de Schiltigheim.
Pas de contrôles de vitesse
Si la volonté de faire de la place aux vélos semble unanimement partagée, les façons d’y parvenir diffèrent. Au nom de l’apaisement, la vitesse maximum de circulation est passée de 50 à 30 km/h au mois de juin dernier sur l’ensemble de la route de Bischwiller, “afin de rassurer les cyclistes”, précise Gilles Malherbe, chef de l’urbanisme de la mairie. Mais pas besoin d’avoir un radar dans la poche pour se rendre compte qu’aucun véhicule ne respecte cette nouvelle limitation. “ll n’y a ni contrôle, ni dos d’âne, rien qui oblige les voitures et camions à ralentir”, s’irrite Benoît Ecosse. Une mesure à court terme insatisfaisante, qui s’ajoute aux refus, ces derniers mois, de plusieurs propositions favorables aux vélos. “Après les municipales, nous avons proposé la mise en place d’une circulation à sens unique sur les routes de Bischwiller et De-Gaulle pour laisser de la place à une bande cyclable, mais ça n’a pas abouti”, regrette la présidente de Cadr67.
Le projet de création d’une vélorue, qui rendrait les cyclistes prioritaires sur la chaussée, a connu le même sort. “Bien que plusieurs élus aient soutenu cette proposition, la vélorue a été retoquée. Malgré leurs intentions en faveur des cyclistes, les élus restent dans une logique pro-voiture”, déplore Julien Hofstetter, co-président de l’association la Schilyclette. Au sein même du mouvement Vélorution, l’une des associations à l’initiative de cette idée, la proposition divise : “Il me paraît utopique de vouloir instaurer une vélorue sur cette route, notamment du fait des bus qui ne pourraient pas dépasser les vélos et des bouchons que cela pourrait créer”, admet Benoît Ecosse.
La Vélorution est un mouvement international qui encourage l’utilisation quotidienne du vélo. Sa première mobilisation fut organisée à Paris par le collectif les Amis de la Terre, en avril 1972. Les vélorutionnaires revendiquent la mise en place d’infrastructures pour les cyclistes tout en dénonçant la place trop importante de la voiture dans les villes.
http://www.velorution-strasbourg.fr/
L’association Cadr67 défend les droits des cyclistes et cherche à améliorer les conditions de déplacement à bicyclette dans l’ensemble du Bas-Rhin depuis 1975. Elle travaille avec plusieurs municipalités pour repenser la politique cyclable des villes et organise des actions pour sensibiliser les habitants à la pratique du vélo (animations, vélo-école, bourses aux vélos).
Née après le rassemblement vélorution d’avril 2019 à Strasbourg, la Schilyclette est une association qui cherche à favoriser l’autonomie des cyclistes grâce à un atelier de réparation collaboratif installé à Schiltigheim. Elle met à disposition de ses bénévoles outils, pièces et conseils, et les accompagne dans la réparation de leur vélo.
Sarah Dupont
Le baromètre des villes cyclables publié en 2019 place Schiltigheim dans les communes ayant un "climat plutôt défavorable" pour le vélo, avec une note de 2,89 sur 6. © Laure Solé
Avec près de 15 000 véhicules chaque jour, selon Yves Laugel, directeur du Sirac, difficile de nier la place prépondérante des voitures et des camions sur cette artère majeure du nord de l’Eurométropole. “Cette voie est un axe historique de transit qui, en plus de desservir près de 70 000 habitants, permet l’accès à de nombreuses industries”, explique l’adjoint Patrick Maciejewski. Donner plus de place aux vélos sur cette route très empruntée suppose donc d’abord de réduire le trafic. “La réflexion porte sur l’A35 qui va prochainement devenir un boulevard urbain, ce qui permettra de renvoyer la circulation sur cette voie et donc de pacifier la route de Bischwiller, projette Gilles Malherbe, en charge de l’urbanisme à Schiltigheim. Mais ce ne sera pas avant cinq à dix ans…” Julien Hofstetter n’y croit pas. “Il ne faut pas se voiler la face, la route de Bischwiller est et restera une voie importante de transit.”
Ménager les commerçants
Quant à concevoir une piste cyclable sans empiéter sur les places de parking qui bordent la route, c’est impossible. Une contrainte supplémentaire mise en exergue par Gilles Malherbe : “Cette route est très commerçante, nous ne pouvons pas juste supprimer les places de parking.” Le coprésident de la Schilyclette rejette cet argument : “Enlever ces places ne nuirait pas aux commerçants. Parce que les voitures qui l’empruntent ne s’arrêtent pas forcément, mais aussi parce que bon nombre de clients sont eux-mêmes des cyclistes ou des piétons. Le vrai enjeu, c’est la construction d’un parking silo pour accueillir l’ensemble de ces voitures.” Une idée partagée par la municipalité qui envisage la construction d’un parking aux abords du gymnase des Malteries.
À ces contraintes s’ajoute le fait que c’est l’Eurométropole qui dispose du pouvoir de décision sur les projets de voirie et autres parkings. “Pour développer des pistes cyclables, il est nécessaire de convenir d'un plan global de mobilité comprenant tous les moyens de transport. Malheureusement, ça ne se fait pas en un claquement de doigts…”, rappelle Louisa Krause, la présidente de l’association Col’Schick. Il faudra donc encore s’armer de patience avant de pédaler sereinement sur la route de Bischwiller.
Iris Bronner
Pistes cyclables manquantes, piétons, voitures, camions... Les obstacles sont nombreux pour les cyclistes sur la route de Bischwiller. La preuve en images.
© Amandine Poncet