Les pharmacies de la route de Bischwiller tentent diverses stratégies concurrentielles pour faire évoluer et prospérer leurs activités dans un milieu où la marge est maigre. La proximité avec le Centre médico-chirurgical obstétrique (CMCO) est un argument de poids pour se distinguer mais révèle certaines questions éthiques.
"Je la regarde du coin de l'œil car elle fait la promotion de certains produits pour nourrissons auprès du CMCO." Sa suspicion, ce gérant d’une officine concurrente, la porte sur la pharmacie Pasteur. Située aux abords de la mairie de Schiltigheim, celle-ci pratiquerait la publicité, en allant directement démarcher les patientes du CMCO (Centre médico-chirurgical obstétrique) avec ses produits de maternité, d’après les dires de certains membres du personnel hospitalier et concurrents. Le résultat est sans appel : bien des jeunes parents se muent en clients.
Au-delà de la moralité, "cela relève de la légalité ou non", rappelle le vice-président de l’Ordre des pharmaciens du Grand Est, Christian Barth. La publicité en dehors de la pharmacie et le démarchage sont interdits par le code de la santé publique. "Les pharmacies veulent parfois jouer sur le même terrain que les entreprises de matériel médical qui vendent des pansements et autres produits aux hôpitaux", observe Christian Barth.
Dans sa quête de clients futurs et d’un lien privilégié avec le CMCO, la pharmacie Pasteur profiterait d’un certain brouillard déontologique. Le vice-président de l’Ordre admet que la fraude est difficile à prouver car la publicité s’affiche souvent comme de la simple communication. L’entreprise réfute toute pratique illicite et se défend d’un quelconque contrat avec l’hôpital. Elle met plutôt l’accent sur des offres de prix réduits affichées en vitrine, ce qui lui permet de se démarquer de ses concurrentes.
Deux personnes font la queue devant la pharmacie Hôtel de ville. © Lorela Prifti
© Adrien Fuzellier et Lorela Prifti
Économiquement, les officines ne sont pas sur le même pied d’égalité. Celles qui disposent de moyens importants, comme Gentiane à Schiltigheim, jouissent de conditions commerciales favorables auprès des laboratoires : en achetant les stocks en grande quantité, elles peuvent négocier des remises.
L'inégalité de la course aux prix bas
Les officines des trois communes entretiennent leurs points forts pour capter une clientèle de niche. Cependant elles continuent à privilégier l’interaction de vive voix avec les clients. Les pharmaciens mettent tous l’accent sur ce qui fait le cœur de leur profession : le service personnalisé et l’écoute. Et ils n’oublient pas de répondre aux nouveaux besoins des clients, de plus en plus demandeurs de livraison et de click and collect.
Pour jouer sur le même tableau, les plus petites structures, comme la pharmacie de l’Hôtel de ville, forment des regroupements d’achats dans le but de commander des quantités plus importantes.
Cette course aux bas prix n’est cependant pas le nerf de la guerre concurrentielle. "Sur Schiltigheim, vous prenez un produit comme le Fervex [un médicament contenant du paracétamol coûtant environ 4 euros la boîte, NDLR], entre la plus chère et la moins chère il n’y a que 40 centimes de différence", témoigne Djemoui Zerari, gérant de la pharmacie de l’Hôtel de ville. Les petites pharmacies se retrouvent également devant le problème de la diversité des produits proposés : elles ne possèdent pas des gammes comparables à celles avec plus de moyens.
Les grandes pharmacies de la route de Bischwiller offrent un choix plus large de produits.
© Adrien Fuzellier
Le CMCO accueille aujourd’hui le plus grand nombre de naissances en Alsace avec en moyenne 3 000 nouveau-nés par an. Son pôle de gynécologie-obstétrique en fait la deuxième plus grande maternité de France. Avec une capacité totale de 180 lits places et un effectif de 323 personnes, le CMCO possède aussi l’un des rares centres spécialisés pour la procréation médicalement assistée dans le Grand Est.
Une offre adaptée aux spécificités de chacun
Dans ce contexte où les produits sont majoritairement remboursables, les enseignes misent sur la parapharmacie pour se démarquer. Djemoui Zerari a aménagé un espace phytothérapie pour se différencier de ses concurrents. "Si vous habitez dans le quartier, que vous avez un petit problème et aimeriez quelque chose à base de plantes, vous saurez que j’aurai le choix", se félicite-t-il.
La route de Bischwiller est assez caractéristique de cette stratégie concurrentielle. À Schiltigheim, Pasteur parie sur la demande en s’adaptant à la clientèle du CMCO et un large choix de références pour nourrissons. La pharmacie de l’Arbre vert, installée depuis près de quatre-vingt ans à Bischheim, mise sur le même cheval mais développe son rayon sport avec l’espoir de capter les patients des cabinets de kinésithérapie de la zone. La gérante de la Pharmacie de la République, à Hoenheim, tire profit de son diplôme en orthopédie pour offrir un service unique dans le secteur. Son parking lui offre un avantage certain vis-à-vis d’autres pharmacies se trouvant au bord de la route. Pour rendre l’expérience de l’achat encore plus confortable, elle propose une "fenêtre drive". Un dispositif inédit qui évite les queues interminables.
Le drive de la pharmacie de la République permet d'épargner la file d'attente aux clients et d'éviter les regroupements en période d'épidémie. © Adrien Fuzellier
Adrien Fuzellier et Lorela Prifti