18 décembre 2007
Le projet français avance et se précise malgré les levées de bouclier. Revue de détails
La petite équipe vient à peine de poser ses cartons au ministère des Affaires étrangères. Sa mission : porter le projet d’Union de la Méditerranée (UM). A leur tête, Alain Leroy, ambassadeur de France fraîchement débarqué de Madagascar et qui vient de terminer une première tournée diplomatique des capitales de la Mare Nostrum. Il lui faut «vendre, défendre et construire le projet», résume sa collaboratrice et porte-parole, Laurène Gimenez. Ils rendent aussi des comptes à l’Élysée. Plus particulièrement au conseiller spécial du Président, Henri Guaino, le penseur du projet. L’équipe s’apprête à publier les principes de base de la future organisation internationale et à les diffuser auprès des chancelleries.
A l’origine de l’Union de la Méditerranée, un constat de l’Élysée : alors que les Etats-Unis réalisent 20% de leurs investissements au sein de l’Alena (Association de libre-échange nord-américaine) et le Japon 25% dans l’Asean (Association des nations de l’Asie du sud-est), l’Europe manque de passerelles économiques vers son sud (l’Afrique du Nord) où elle ne réalise que 2% de ses investissements extérieurs. D’où l’idée de créer une banque d’investissement et une agence des PME de la Méditerranée.
Même si, officiellement, le projet ne vise pas à gérer les migrations du sud vers le nord, une telle organisation économique pourrait, comme les maquiladoras (entreprises américaines implantées au Mexique), favoriser les investissements au sud pour contenir l’immigration. Selon une étude du Bureau international du travail (BIT), il faudrait créer 40 millions d’emplois au sud de la Méditerranée d’ici vingt ans pour maintenir un taux de chômage stable.
Vingt-cinq membres
«Tous les pays du pourtour méditerranéen ont vocation à intégrer l’Union», explique Laurène Gimenez. Et la porte-parole d’ajouter qu’Israël et la Turquie seront présents en juillet prochain à Paris, lors du sommet fondateur de l’UM. Aux 22 pays ayant une façade maritime méditerranéenne, s’ajoutent trois pays qui participent déjà à des projets de type Euromed (1) ou « 5+5 » (2) : la Mauritanie, le Portugal et la Jordanie.
« Un secrétariat de projets » à géométrie variable
Mais tous les pays du pourtour n’ont pas vocation à travailler ensemble. «Il est peu probable que la Libye et Israël travaillent sur un même projet», explique Laurène Gimenez. C’est, dit-elle, une différence majeure avec Euromed où tous les membres doivent participer à l’ensemble des projets. Les inventeurs de l’UM la voient davantage en «secrétariat de projets», avec des réunions informelles de type G8 et des coopérations renforcées sur des projets qui se veulent concrets : mise en place d’un fonds carbone, implantation d’énergie solaire au sud, organisation d’une coopération entre les ports, mutualisation des universités et des centres de recherche.
Union de la Méditerranée et Union européenne
Mais ce projet froisse l’Allemagne. « Si, à côté de l’UE, les Etats riverains de la Méditerranée devaient constituer une deuxième Union, cela risquerait de constituer une épreuve difficile pour l’Europe », déclarait la chancelière Angela Merkel le 7 décembre 2007 lors du sommet franco-allemand. « L’Allemagne a pris la main en Europe sous l’ère chiraquienne, maintenant elle s’inquiète de voir la France revenir en force », rétorque-t-on au Quai d’Orsay.
L'ouverture aux pays du Nord
Reste que Nicolas Sarkozy a dû accepter d'ouvrir son Union méditerranéenne aux pays du Nord : tout membre de l’UE pourra intégrer l’UM s’il le souhaite. La Commission, elle, sera de droit le 26e membre. Une décision très intéressée pour certains : il sera ainsi plus facile de demander des financements à Bruxelles. Laurène Gimenez s’en défend : « Le financement va essentiellement reposer sur des fonds privés et sur des institutions internationales». Au quai d’Orsay où ce projet à figuré pour un temps dans les priorités de la présidence française de l’UE, on ne parle plus que d’une coïncidence de calendrier.
(1) Le partenariat Euromed ou processus de Barcelone a été mis en place en 1995 à l’initiative de l’UE et de dix pays du sud de la Méditerrannée (Algérie, Autorité Palestinienne, Egypte, Israël, Jordanie, Liban, Maroc, Syrie, Tunisie, Turquie). Ses objectifs sont aussi bien politiques - normalisation des rapports israélo-palestiniens-, qu’économiques - création d’une zone euro-méditerranéenne de libre-échange d’ici 2010.
(2) Le dialogue « 5+5 » est une coopération politique entre 10 pays de la Méditerranée occidentale (Espagne,France, Italie, Malte, Portugal/Algérie, Lybie, Mauritanie, Maroc, Tunisie- soit les cinq membres de l'Union du Maghreb arabe) qui ambitionnent de consolider Euromed.
(3) Au total, 22 pays du pourtour méditerranéen plus le Portugal, la Mauritanie et la Jordanie sont pressentis pour faire partie du club. La Commission européenne est invitée, comme tout pays membre de l'Union . L'Allemagne s'est déclarée "intéressée".
Matthieu Poissonnet
à Paris