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Défense commerciale : le levier vert


18 décembre 2007

 

Intervenir, oui, mais comment? Le 14 décembre 2007, les dirigeants européens réunis à Lisbonne ont jugé «indispensable d’exercer une surveillance constante sur les marchés financiers et l’économie, car des incertitudes subsistent». Déjà, le 10 septembre Angela Merkel et Nicolas Sarkozy réclamaient «plus de transparence des marchés financiers et plus de responsabilité pour les agences de notation et les fonds à effet levier». Même Gordon Brown, premier ministre britannique, et protecteur obligé de la City de Londres, s’est prononcé pour une intervention politique. Mais la question du mode d’intervention reste en suspens, entre les partisans d’un gendarme européen et ceux de l’autorégulation.

Hedge funds et agences de notation montrés du doigt

Confrontés à la tempête qui frappe les marchés financiers depuis l’été 2007, la majeure partie des dirigeants politiques et des analystes ont pointé du doigt la responsabilité des hedge funds (fonds spéculatifs) et des agences de notation dans la crise des «subprimes mortgages» (crédits hypothécaires à haut risque). Une crise qui a poussé la Banque centrale européenne, la banque d’Angleterre et la Réserve fédérale américaine à injecter massivement des liquidités afin de stabiliser le système et garantir un minimum de liquidité dans les tuyaux financiers.
En investissant massivement dans les subprimes américains, des produits risqués et proches de l’implosion, puis en répartissant ces investissements dans d’autres secteurs, les hedge funds ont contribué a propager l’instabilité et l’opacité des marchés. Même si, paradoxalement, leur rôle dans l’équilibre de l’économie mondiale est jugé positif par la plupart des analystes.
De leur côté, les agences de notation, chargées de délivrer des notes aux entreprises (de AAA pour les premiers de la classe à D pour les faillitaires), ne sont pas non plus dans les petits papiers de la chancelière allemande: «Si l’on regarde comment s’est déroulée la crise du crédit immobilier, on a souvent constaté que ce qui était très bien noté se révélait beaucoup plus instable». Manque de sérieux? La critique est plus profonde. Les agences de notation seraient coupables de conflit d’intérêt, étant rémunérées par les mêmes entreprises qu’elles évaluent.

Le code de conduite? «C'est du pipeau!»

Solution avancée par les politiques: la "régulation". Mais quel type de régulation et qui pour la faire appliquer? «Faut-il de nouvelles normes ou un code de bonne conduite pour les hedge funds? Faut-il un code de bonne conduite ou de nouvelles normes pour les agences de notation? Je ne sais pas pour l’instant. Une chose est sûre, le marché n’est pas assez transparent», confesse François Pérol, conseiller spécial du président français, en charge des questions économiques.
«Le code de bonne conduite, c’est du pipeau !», s’exclame la française Pervenche Berès, eurodéputée socialiste et présidente de la Commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, le vrai problème de transparence dans ces segments des marchés financiers vient du fait qu’il n’y a pas de gendarme européen pour faire appliquer les règles.» Un gendarme que réclame le ministre italien de l’économie, Tommaso Padoa-Schioppa, dans une lettre adressée le 26 novembre 2007 à la Commission européenne.
Pour le moment, les marchés sont contrôlés au niveau européen via le CESR, un comité composé de représentants de chaque institution de réglementation nationale, à l’instar de l’Autorité des marchés financiers en France. Une situation qui semble suffire, à quelques améliorations prêt, à l’Allemagne comme à la Grande-Bretagne, partisans d’une régulation indirecte via un meilleur contrôle prudentiel des banques d’investissement et un simple code de bonne conduite.

Antoine Krempf à Paris

 

Titrisation: l'effet dominos

La France et l’Europe souhaitent mieux réguler et rendre plus transparent le système de titrisation. Cette technique financière née aux Etats-Unis au début des années 1970 permet à une entreprise de transformer des actifs peu liquides (une grosse somme) en valeurs plus facilement cessibles comme des obligations (petites sommes), pour accéder à de nouvelles sources de financement. Les banques, qui réalisent de nombreux prêts aux particuliers (des prêts immobiliers par exemple), font couramment appel à ce type de financement.
Le risque majeur révélé par la crise des subprimes, est que les emprunteurs deviennent insolvables et ne remboursent plus leur emprunt. Du coup, toute la chaîne est menacée d'effondrement.
Risque aggravant: la pratique de la Special purpose company (SPC). En s’interposant entre le cédant et l’investisseur, celle-ci fait écran : les investisseurs (entreprises, banques...) ne vérifient pas l’origine du titre, et se trouvent sans le savoir directement exposés en cas d’insolvabilité des emprunteurs . C'est précisément ce qui 'est produit avec la crise des subprimes.

«Pas prêts de réguler»

Nicolas Sarkozy l’a dit et répété lors d’un discours commun avec la chancelière allemande Angela Merkel en novembre dernier, il faut plus de transparence sur les marchés financiers.
Concrètement? Les dirigeants veulent une règlementation plus soutenue du contrôle de l’origine des titres pour éviter qu’une nouvelle crise des subprimes ne touche les marchés européens. Mais certains financiers et avocats de la titrisation s’étonnent des ambitions du président français.
Le Trésor français travaille en effet en ce moment même à la refonte du cadre législatif de la titrisation. Le Parlement français doit, d’ici juin 2008, voter une loi d’habilitation pour que le gouvernement légifère par ordonnance sur le sujet. Mais la nouvelle loi, selon Alexandre Bordenave, avocat spécialiste de la titrisation chez GIDE, libéraliserait encore plus la titrisation française, déjà régulièrement assouplie depuis vingt ans (lois de 1996, 1998, 2003 et 2004 notamment). «Il a fallu attendre 1996 pour que la loi française officialise l’existence de la titrisation alors qu’elle existait depuis 30 ans. Vous imaginez bien qu’elle n’est pas prête de réguler», conclut-il.

Fanny Lothaire, à Paris

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