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Sophie exerce au pôle maternité de la clinique Sainte-Anne où 38 sages-femmes ont fait naître 2 084 bébés en 2019. Laurence, elle, est la première praticienne libérale du quartier de l’Ill. Elle assure un suivi de proximité à la Maison urbaine de santé (MUS) depuis 2020.

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Laurence pratique un suivi post-natal à la Cité de l’Ill. (DR)

 

“Je suis très bien là où je suis”

Sophie*, sage-femme à la clinique Sainte-Anne de la Robertsau.

“Être sage-femme, ça a du sens

Laurence exerce en libéral à la Cité de l’Ill, dans la Maison urbaine de santé.

Laurence exerce ce qu’elle estime être “le plus beau métier du monde” en libéral. Durant seize ans, la sage-femme de 45 ans a travaillé à la clinique Sainte-Anne, mais ne bénéficiait pas du même statut que ses consœurs salariées: “J’exerçais en libéral et louais un local au sous-sol de l’établissement, près des poubelles et de la lingerie. Parfois, face au nombre de patientes dans le service maternité, mes collègues n’avaient d’autres choix que de m’intégrer comme si j’étais moi-même salariée.” Cette situation ambigüe l’exposait juridiquement en cas de problème: “Je ne me sentais pas investie dans la maternité.” Un manque de reconnaissance qui a renforcé sa décision de quitter la clinique.

En 2020, Laurence a intégré la Maison urbaine de santé (MUS) de la Cité de l’Ill, où aucune sage-femme n’exerçait jusque-là. Elle tenait à compléter l’offre de soin dans le quartier en participant à une logique d’échanges pluridisciplinaires entre professionnels de santé.  Elle accompagne les jeunes parents et leur enfant dans une approche qu’elle veut humaine. Contrairement à la clinique, exercer à la Cité de l’Ill lui permet de demeurer auprès des femmes de l’adolescence jusqu’à la ménopause: prescriptions de moyens contraceptifs, dépistages, préparations à l’accouchement, suivis gynécologiques. La praticienne conserve cependant des liens étroits avec les consœurs de Sainte-Anne. Le Covid a d’ailleurs accéléré le rapprochement avec la clinique, l’objectif étant de tisser un réseau afin d’accompagner les soins à domicile. 

Comme nombre de ses collègues, elle lutte pour une revalorisation de son métier. “Quand les jeunes voient nos conditions de travail par rapport à nos faibles rémunérations, bien sûr qu’ils ne sont pas attirés par cette voie.” Elle-même a déjà envisagé une reconversion, sans y parvenir, car “être sage-femme, ça a du sens”.

Accouchements, consultations d’urgence, suivis obstétriques et gynécologiques, suivis post natals, consultations homéopathiques, hospitalisations à domicile: c'est le quotidien de Sophie, sage-femme à la clinique Sainte-Anne. Une large palette de tâches qui reflète une charge de travail importante. “Nos missions varient selon l’affluence, dit Sophie. Parfois, les pics d’activités sont tels qu’il nous est impossible d’accomplir notre rôle jusqu’au bout, en accompagnant les jeunes mamans après leur accouchement.” Une situation frustrante pour la jeune femme qui déplore de “ne pas avoir le temps de prendre le temps”.

Elle a trouvé dans son métier un travail axé sur le soin et l'aide à la personne, mais aujourd’hui, tout comme Laurence, Sophie tire la sonnette d'alarme. “La profession n’est plus intéressante pour les étudiants, les contraintes de travail sont trop difficiles, le salaire pas à la hauteur de nos responsabilités ni de nos années d’études, la responsabilité qu’on prend au quotidien est en décalé par rapport à la considération des sages-femmes.” Pour la jeune femme, rester sur cette ligne de conduite finira irrémédiablement par amener la mort de la profession. “Il va falloir remettre en question la santé des mères et des enfants. On n’a pas compris assez tôt l’importance capitale de la sage-femme dans la santé des femmes”. Ce discours fait écho aux mouvements pour une revalorisation de la profession.

“Les cliniques privées sont moins impactées par le phénomène”, estime Sophie. À Sainte-Anne, plus particulièrement, le pôle maternité a bénéficié de trois millions d'euros de travaux de rénovation qui ont amélioré les conditions de travail du personnel et le confort des patientes. L'établissement compte désormais cinq chambres kangourous, réservées aux enfants nécessitant des besoins particuliers, pour “préserver le cocon familial, renforcer les liens parents-enfant et éviter la dispersion des soins”.

De plus, la puériculture et la pédiatrie se sont rapprochées des sages-femmes. Pour Sophie, cette collaboration entre les équipes est une “bonne chose”. “Quand on se trouve face à un manque d'employés, ça permet de compenser”. Sophie considère que la principale source de reconnaissance vient des parents, car “c’est toujours un instant miraculeux de contribuer à la naissance d’un enfant”. Ce qui lui fait dire: “Je suis très bien là où je suis.”

*Le prénom a été changé

 

 

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Affiche présente dans le pôle maternité de la clinique Sainte-Anne. ©Liza Foesser-Eckert 

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Localisation du lieu de travail de Laurence et Sophie. ©Lorenzo Vergari Morelli et Liza Foesser-Eckertt

            

Le mouvement des sages-femmes

Selon la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), les sages-femmes sont 23 400 en France. Ces dernières années, en lien avec les récentes extensions de leurs compétences, le mode d’exercice de la profession a connu des mutations importantes et s'est développé vers le libéral.

Depuis le début de l’année, six journées de grève ont réuni les acteurs de la profession derrière l'Organisation nationale des syndicats de sages-femmes (ONSSF). À Strasbourg, les sages-femmes se disent “épuisées”, “en colère” et dénoncent le “mépris” dont elles sont victimes. Elles réclament plus d’effectifs, une revalorisation salariale et davantage de reconnaissance. 

Le discours des sages-femmes en grève est unanime: à l’hôpital, il n'y a plus assez de temps pour le côté humain. Le suivi post-natal n’arrive pas à être assuré, faute de personnel. Selon la sixième édition de l’enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles, le suicide est la deuxième cause de décès des jeunes mamans en France. “Elles se sentent seules, et n'ont personne vers qui se tourner. Quand je suis en train de tenir la main d’une patiente, je dois déjà penser aux deux [autres] dans la salle d’à côté. Nous ne sommes plus assez nombreuses”, explique Ève Rizzotti Donas, sage-femme au CHU de Strasbourg et représentante Grand Est du collectif Santé en Danger, qui manifeste aussi à Strasbourg.

C’est pourquoi redynamiser le métier est essentiel pour assurer la relève. Avec une baisse de 20% du nombre des étudiants, selon l’ONSSF, la profession n’est plus attractive. Pour beaucoup, la revalorisation salariale est une priorité. Aujourd’hui, la rémunération de départ est de 1 530 euros par mois après cinq ans d’études.               

 

 

Liza Foesser-Eckert et Lorenzo Vergari Morelli

 

 

 

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