Ancienne pièce communale, mercerie-bonneterie, salle de bal: depuis plus de cent ans,
les restaurateurs de la Robertsau ont la recette pour faire vivre l’esprit du quartier.
La Vignette a été créée en 1840. Le bâtiment a abrité une épicerie puis une menuiserie avant de devenir un restaurant emblématique. ©Martin Hortin
Préserver la vie de la Robertsau
Les premières auberges s’implantent, dès le début du XVIIIe siècle, pour répondre à la demande des citadins affluant vers les paysages de campagne de la Robertsau. Entre le début du XIXe siècle et la fin de la période allemande en 1918, deux autres générations d’établissements voient le jour. Les archives en dénombrent plus de 50 à la veille de la guerre. Les restaurants sont alors au cœur de la vie du quartier et brassent un public hétéroclite.
On y mange, on y boit, mais surtout, on s’y retrouve pour jouer ou échanger. “La Robertsau, c’est un quartier un peu spécial de Strasbourg, ça reste un petit village dans la ville, explique Philippe Ennesser, gérant du Coq blanc. La vie de quartier est encore très importante ici, on a à cœur de la préserver.”
“Vous savez, je me suis marié dans cette salle il y a trente ans”, confie un habitué à Florian Chatelard, le directeur actuel de la Vignette, l’une des tables emblématiques de la Robertsau. Elle fait partie des nombreux établissements remarquables, pour certains de vieilles auberges à l’apparence rustique, qui parsèment un quartier à l’origine couvert de terres maraîchères. Ces restaurants ont toujours été des lieux de vie prisés des habitants.
Lorsqu’on remonte la rue Boecklin, on tombe d’abord sur la Cocotte, peu après la Poste. Quelques pas plus loin, à proximité de l’arrêt de tram Mélanie, la Vignette et le Coq blanc se font face. On trouve également l’Auberge du Cygne et le Saint Fiacre, plus au nord, là où la rue du même nom rejoint la route de La Wantzenau. Tous ont résisté au temps qui passe, à l’essor de l’urbanisation et à la disparition progressive des terres agricoles. Ces restaurants typiques et chaleureux, qui datent d’avant la Première Guerre mondiale, dévoilent un pan du passé du quartier.
Le Coq blanc est une institution dans le quartier. La maison à colombages existe depuis 1806. ©Martin Hortin
©Alexia Avril et Martin Hortin
“Quand je ne suis pas au restaurant, j’essaye d’aller à la rencontre des clients du quartier, d’échanger avec eux”, indique Florian Chatelard. Débarqué de Biarritz en 2020, il veut s’imprégner des usages des habitants, afin de répondre au mieux à leurs attentes.
À la Robertsau, les habitudes ont la vie dure. Tous les mardis, trois vieux amis sortent de la Cocotte après avoir dégusté le plat du jour. Pour 10 euros, ils ont eu droit ce midi à un mijoté de joue de bœuf avec des tagliatelles. “C’est un peu notre Stammtisch à nous”, expliquent-ils, en référence à la table des habitués autour de laquelle on se retrouve dans les bistrots alsaciens.
Ce jour-là, les employés sont enjoués et assurent le service dans une salle pleine, se permettant même de glisser quelques blagues. Afin de fidéliser sa clientèle de locaux, Philippe Ball, le co-gérant, mise sur une ambiance toujours “chaleureuse”. Au milieu d’un agréable brouhaha, les conversations s’entremêlent et des éclats de rires s’échappent de tablées réunies autour d’un bon repas.
Tous les midis, la Cocotte propose un plat du jour à 10 euros. Les sauces sont la spécialité de la maison. ©Martin Hortin
Autrefois, la Cocotte était un bistrot de quartier. Créé avant la Première Guerre mondiale, il s'appelait l'Agneau. ©Martin Hortin
Mélanie Douadic reprend le Saint Fiacre en 2018. Pour cette “fille de la Robertsau”, pas question de modifier l’appellation de ce “petit restaurant de quartier”, qu’elle connaît “depuis toute petite”: “Le Saint Fiacre, les gens le fréquentent depuis 40 ans, si j’avais changé le nom de leur restaurant, ça aurait été la crise internationale!”
Des gardiens du patrimoine local
En proposant une cuisine gourmande et locale, au milieu de photos d’époque et d’objets rares, les restaurateurs participent à la sauvegarde du patrimoine. À la Vignette, on peut admirer une photo de collection du château de Pourtalès. Malgré les sollicitations des propriétaires de ce lieu, l’établissement refuse encore de vendre cette pièce datant de 1912. Ici, on rend aussi hommage au passé maraîcher en se fournissant, en bonne partie, directement à la Robertsau. En faisant appel à Andrès et au Jardin de Marthe, les deux derniers producteurs du quartier, l’objectif est de proposer “une cuisine fraîche toute la semaine”. Même état d’esprit à la Cocotte, avec une cuisine généreuse et mijotée maison, qui met légumes et “produits du coin” au centre de l’assiette.
Fin 2022, la Vignette va engager 300 000 euros de travaux pour moderniser sa cour intérieure. Florian Chatelard voit l’avenir en grand: “On essaye de créer un chemin pour notre projet.”
Alexia Avril et Martin Hortin