Symbole de l’identité alsacienne, les maisons à pans de bois de la Robertsau n’échappent pas aux ravages du temps. Des initiatives voient le jour pour réhabiliter un patrimoine éparpillé.
“Il y avait du monde le jour où on l’a soulevée. Des gens aux fenêtres, dans la rue”, se souvient Yalcin Durmus. Un chantier suscite rarement autant de curiosité. Le 19 mai 2021 au 5, rue Adler, à la Robertsau, le spectacle vaut le détour. Une grue déplace l’ossature d’une maison à colombages de 16 tonnes sur plusieurs mètres. L’opération ne dure qu’un quart d’heure. “Ce n’était pas vraiment difficile parce qu’à l’intérieur, ça a été renforcé", précise le conducteur de travaux.
Depuis avril 2021, un processus de rénovation atypique est engagé pour changer le visage de cette bâtisse alsacienne. Le propriétaire fait construire les fondations d’une maison contemporaine sur son emplacement d’origine. Quand le rez-de-chaussée sera terminé, la structure à pans de bois sera posée au niveau du premier étage. "Ça sera énorme”, s’enthousiasme Yalcin Durmus. De 420 m² au départ, la surface habitable passera à près de 600.
Yalcin Durmus, conducteur de travaux sur le chantier de la rue Adler, a supervisé le déplacement de l’ossature à colombages. ©Juliette Vienot
Des équerres et traverses en métal consolident l’ossature de la maison à colombages de la rue Adler pour faciliter son déplacement. ©Juliette Vienot
Une quarantaine de maisons à colombages sont réparties autour des axes historiques du quartier. ©Juliette Vienot et Khelian Yousfi
Avant la rénovation, les ouvriers ont retiré la maçonnerie entre les colombages de la maison rue Adler. ©Juliette Vienot
Trois phases d'urbanisme, autant de styles architecturaux
Le résultat final, alliant ancien et moderne, devrait témoigner de la diversité architecturale de la Robertsau. D’après Marc Hoffsess, adjoint à la maire de Strasbourg et référent du quartier, le secteur a traversé trois phases d’urbanisation. Les premières bâtisses étaient à colombages. Des maisons de pêcheurs et maraîchers qui remontent aux XVIIe et XVIIIe siècles. La fin de cette période voit l’avènement de villas bourgeoises. Plus grandes et sans pans de bois, elles servent de lieux de villégiature pour les Strasbourgeois les plus aisés.
La troisième phase commence après la Seconde Guerre mondiale. Durant le conflit, les bombardements détruisent de nombreux bâtiments et créent une crise du logement. La Robertsau et ses terres maraîchères constituent alors une réserve foncière, comme d’autres quartiers périphériques de Strasbourg. Des logements collectifs et bâtiments institutionnels sortent de terre. Cette densification urbaine réduit la proportion de maisons à colombages. Aujourd’hui, elles se répartissent autour des axes historiques de la Robertsau: rue Boecklin, rue Mélanie, et le long de la route de La Wantzenau. On en compte une quarantaine dans ce secteur.
“Allier la conservation du patrimoine et le style d’habitat d’aujourd’hui”
Face à l’essor de constructions modernes en béton et en acier, une bâtisse fait de la résistance. Au 2, rue des Fleurs, à deux pas du Conseil de l’Europe, se trouve la plus vieille habitation à colombages de la Robertsau. Érigée en 1686 par Hans Hahn, boucher et adjoint au maire, elle a été inscrite aux bâtiments historiques en 1984. “Je suis un descendant direct de la personne qui a construit la maison”, s’enorgueillit Claude Hieronimus, l’actuel propriétaire. Retraité de l’informatique, il a pris la décision de restaurer son bien en 2017. Le chantier devrait débuter au printemps 2022.
Un cartouche rappelle qu’Hans Hahn, boucher et adjoint au maire, a construit le 2 rue des Fleurs en 1686. ©Juliette Vienot
Contrairement aux travaux rue Adler, “ce qu’on propose, ce n’est pas une création, c’est une restitution”, souligne Charlène Imbs, l’architecte du patrimoine qui travaille sur ce projet. Des années de diagnostics et de recherches documentaires ont permis de préparer cet ambitieux chantier. Comme les façades et la toiture sont inscrites, les travaux devront respecter les règles de préservation de l’ancien imposées par les Bâtiments de France. Pour les murs, “si on voit que c’est de la brique, on enlève, si c’est du torchis de bonne qualité, on garde”, explique Claude Hiéronimus. Une fois la restauration achevée, les murs se composeront d’un mélange de chaux et de chanvre, un matériau naturel proche de celui d’origine. L’ancien chef d’entreprise ne voit pas ces conditions de construction comme des contraintes, bien au contraire: “Il faut allier la conservation du patrimoine et le style d’habitat d’aujourd’hui.” En revanche, rue Adler, les techniques utilisées sont contemporaines: briques à l’intérieur, béton cellulaire pour calfeutrer les colombages.
Qu’il s’agisse de la restauration rue des Fleurs ou de la rénovation rue Adler, le budget dépasse largement le prix d’une construction classique.
Le chantier de restauration du 2, rue des Fleurs, plus ancienne maison à colombages de la Robertsau, commencera en 2022. ©Juliette Vienot
Le premier chantier coûte plusieurs centaines de milliers d’euros, quand le second dépasse le million. Mais grâce à l’inscription de sa maison, Claude Hiéronimus peut espérer recevoir jusqu’à 30% de subvention sur le montant des travaux. “Les aides existent. À nous de nous battre et de défendre notre projet”, insiste-t-il. Son chantier devrait ouvrir ses portes au public lors des Journées du patrimoine en septembre 2022.
Juliette Vienot et Khélian Yousfi