Bâle, capitale mondiale de la régulation financière, regroupe trois organes internationaux. C'est ici que le Comité de Bâle a conclu quatre accords successifs sur les établissements bancaires. Le dernier en date, Bâle III, établit de nouvelles exigences en matière de fonds propres. Mais les opérateurs financiers ont bien souvent un temps d'avance et rivalisent d'innovations pour contourner ces consignes. Les banques sont prêtes à tous les risques pour maintenir leurs niveaux de rendement.
Le siège de la Banque des règlements internationaux à Bâle en Suisse. (CUEJ/Fabien Piégay et Catherine Deunf)
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Quels sont ses acteurs ?
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Catherine Deunf et Fabien Piégay à Bâle
Dans les années 80, les États-Unis se plaignent d'une concurrence déloyale entre les banques au niveau international. Dans leur ligne de mire : les banques japonaises implicitement soutenues par leur gouvernement. Malgré un faible capital, les établissements nippons effectuent des opérations très risquées et très lucratives sur les marchés sans craindre la faillite.
Depuis, pour atteindre une harmonisation de la réglementation, le comité de Bâle sur le contrôle bancaire (CBCB) émet des recommandations connues sous le nom d'accords de Bâle. Le premier est publié en 1988. L'idée principale est de mettre un montant minimum de fonds propres face aux actifs engagés. Bâle II (2004), Bâle 2,5 (2009) et Bâle III (2010) vont introduire la prise en compte du risque sur le marché (Risk Weight Assets).
Le Botta, un autre bâtiment de la Banque des règlements internationaux (© DR/BRI).
Bâle III, dernier accord en date, instaure une définition restrictive des fonds propres appelée « Core tier one ». À l'intérieur de celui-ci, seul le capital des actionnaires et les bénéfices reportés sont pris en compte. Ces nouvelles règles demandent aux établissements bancaires de respecter un ratio de 4,5% de Core tier one en fonction des risques encourus. Elles devront également se doter d'un matelas de précaution constitué d'actions ordinaires représentant 2,5% du bilan. Bâle III laisse aux banques jusqu'à 2019 pour se conformer à ses accords. Cependant, l'autorité bancaire européenne (ABE) a rehaussé le niveau d'exigence en fonds propres, le passant de 7à 9% et avançant le calendrier à juin 2012.
Catherine Deunf et Fabien Piégay
Le ratio « fonds propres / actifs pondérés du risque » (core tier one / RWA)
C'est toujours l'instrument principal de mesure de la solvabilité d'une banque.
La notion de fonds propres est restreinte, n'y sont admis que le capital apporté par les actionnaires et les bénéfices reportés de la banque. C'est ce qu'on appelle le « core tier one ». Ce ratio de core tier one a été fixé à 4.5 % par le CBCB (Comité de Bâle sur le contrôle bancaire) mais l'Autorité bancaire européenne (ABE) l'a élevé à 9%. Les banques européennes ont jusqu'à 2012 pour s'y soumettre.
Ratio de levier
Ce ratio est un rapport entre les positions prises sur le marché et les fonds propres. Avec 100 euros, une banque peut se positionner sur un achat de 1000 euros sans avancer l'argent, en espérant revendre encore plus cher. L'effet de levier est ici de 10. Des leviers trop importants mettent les fonds propres en danger en cas d'échec de la transaction (impossibilité de revendre au prix escompté). Dorénavant, une banque ne peut plus se positionner pour un montant supérieur à 33 fois ses fonds propres. A noter qu'aux États-Unis, les leviers pratiqués restent autour de 10 ou 15, mais les pratiques comptables n'y sont pas les mêmes. La nouveauté de Bâle III est d'intégrer les risques du hors bilan et des produits dérivés. C'est une manière d'essayer de lutter contre les transactions effectuées sur le marché parallèle non-réglementé (on estime les opérations hors bilan à 2/3 des transactions totales). Ce ratio sera testé à partir de 2013 avant son éventuelle adoption.
Gestion du risque de liquidité
Le fonctionnement du système bancaire exige une circulation permanente de « valeurs », les liquidités. A prête à B, C rembourse à B... En cas de crise, certains actifs deviennent indésirables et donc invendables. La banque se retrouve dans l'impossibilité de les échanger et le circuit est paralysé. C'est ce qu'on appelle le risque de liquidités.
Pour éviter cette impasse, les accords de Bâle imposent un ratio de liquidité. Concrètement, il s'agit d'obliger les banques à détenir un quota d'actifs sans risque, faciles à mobiliser en cas de besoin. Une première partie de ces mesures sera mise en œuvre en janvier 2015, l'autre en janvier 2018.
Le coussin contra-cyclique
Il s'agit d'alimenter les fonds propres quand la conjoncture est favorable pour anticiper une dégradation de l'économie. C'est ce qu'on appelle le coussin ou volant contra-cyclique. L'alimentation de ce coussin est proportionnelle à la santé de l'économie. Quand tout va bien le coussin est alimenté à hauteur de 2,5 % des actifs pondérés des risques. En situation de crise, les banques peuvent cesser de l'alimenter. Les superviseurs rencontrent cependant une limite : comment définir la santé de l'économie ? C'est à dire comment déterminer les périodes et les niveaux d'apport au coussin contra-cyclique. Cette mesure se mettra progressivement en place entre 2016 et 2019.
catherine deunf et fabien piégay
A gauche, Nicolas Boisvilliers, consultant en services financiers.(©DR/Nicolas Boisvilliers) A droite Michel Aglietta, professeur de sciences économiques à Paris X. (©DR/Michel Aglietta)
Bâle I, Bâle II, Bâle 2,5, Bâle III, cette valse de recommandations ressemble à une course sans fin. Une course entre un système financier innovant sans cesse pour que l'argent produise encore plus d'argent et un régulateur cherchant à juguler les risques que ces inventions font courir à l'économie réelle. Nous avons demandé à deux observateurs de ce monde de la finance de nous livrer leurs sentiments sur cette spirale. Nicolas Boisvilliers est consultant en services financiers, et Michel Aglietta, professeur de sciences économiques à Paris X, consultant pour Groupama et conseiller scientifique au CEPII (Centre d'Études Prospectives et d'Informations Internationales).
« La régulation a toujours été un jeu de chat et de souris », explique Michel Aglietta. Dans les années 1980, les banques prenaient des risques sur les marchés financiers sans commune mesure avec le capital dont elles disposaient. Elles s'exposaient à des pertes insurmontables. Les recommandations de Bâle I ont donc imposé un taux de fonds propres proportionnel à l'argent qu'elles avaient sorti de leurs caisses. « Bâle I s'attachait purement aux risques liés au crédit. Il s'agissait de limiter cette délivrance de crédit par rapport aux fonds propres des banques sans prendre en compte la qualité de l'emprunteur», explique Nicolas Boisvilliers.
Mais les banques pouvaient respecter le ratio de 8% imposé par Bâle I tout en prenant des positions très risquées sur les marchés. Suivra donc Bâle II qui prend en compte ces risques. Puis Bâle III qui oblige la détention d'actifs de qualité pour éviter un manque de liquidité en cas d'urgence. Rien n'y fait, plus l'étau se resserre, plus les acteurs financiers prennent des chemins de traverses, comme le dénoncent Nicolas Boisvilliers puis Michel Aglietta.
Les deux économistes prônent tous deux des règles plus simples, compréhensibles par tous et ne prêtant pas à de multiples interprétations. Selon le Nicolas Boisvilliers, l'impasse actuelle s'explique également par un manque de volonté politique. « Ce sont tous les liens qu'il peut y avoir entre la finance et la politique. Ça consiste à passer du travail de haut fonctionnaire de l'Etat à la tête d'une banque. Il y a des passe-droits qui se créent, une culture commune qui circule. »
L'accession récente de salariés de Goldman Sachs à des postes à haute responsabilité politique illustre cette endogamie. Mario Monti, nouveau président du conseil italien est toujours conseiller international pour Goldman Sachs. Mario Draghi, nouveau gouverneur de la Banque centrale européenne fut de 2002 à 2006 vice-président de la Banque américaine en Europe. Enfin, si Lucas Papademos, nouveau premier ministre grec n'y a jamais travaillé, il était gouverneur de la Banque centrale grecque de 1996 à 2002 à l'époque où Goldman Sachs a aidé la Grèce à maquiller ses comptes pour pouvoir intégrer la zone euro. Michel Aglietta regrette aussi cette collusion entre le monde politique et économique.
Michel Aglietta défend l'idée d'une re-nationalisation du financement des dettes d'État pour qu'elles ne soient plus détenues par des financiers étrangers et d'une séparation entre banques d'investissement et banques commerciales.
Catherine Deunf et Fabien Piégay
Le RoE, (return on equity) ou rendement sur capital, est l'indicateur de rentabilité des banques, calculé en fonction de leurs fonds propres, et leur principal argument pour achalander les investisseurs. Ces vingt dernières années, elles ont totalement organisé leurs activités autour de ce ratio, et prennent tous les risques pour le maintenir.
Un enjeu de communication
Au milieu des années 1990, la régulation financière oblige les banques à publier leurs comptes. La seule norme comptable disponible pour le faire vient des banques d'investissement anglo-saxonnes, qui prônent un RoE élevé. Toutes vont s'aligner sur ce modèle.
Selon Dominique Lacoue-Labarthe, spécialiste de la régulation financière au Laboratoire d'analyse et de recherche en économie et finance de l'université de Bordeaux, la généralisation du modèle du RoE est cruciale : les exigences en fonds propres introduites par Bâle II et la pression de la concurrence poussent au même moment les banques à développer un endettement de plus en plus risqué. Dans les années 2000, le RoE de 15%, qui était jusque là un idéal à atteindre, devient une exigence sine qua non pour rester dans la course. Les niveaux de RoE s'emballent, déconnectés de l’économie réelle (voir infographie), menant le système bancaire à la limite de la rupture. « C’était comme sauter du 5ème étage sans parachute, cela traduit des comportements de fous furieux. » Car pour gonfler son RoE, le plus facile est d'utiliser l'outil du « levier d'investissement ». Pour maximiser leurs gains, les banques empruntent de très grosses sommes pour jouer sur les marchés financiers. Si ces paris sont chanceux, elles raflent la mise. Mais s'ils sont perdants, l'effet de levier s'inverse et entame le capital propre. En d’autres termes un fort RoE à la vitrine d’une banque est indissociable d'une forte prise de risque.
Les banques se désengagent du soutien à l'économie
La crise financière de 2007 fait chuter brièvement leur RoE dans le négatif dès la fin de l'année 2008, contraignant les banques à diminuer l'effet de levier : pour que leurs RoE redeviennent positifs, les banques bradent dans l'urgence leurs actifs. C'est le « deleveraging ».
Les exigences de reconquête d'un RoE élevé incitent aussi à réduire le champ des activités. Les banques se détournent du crédit à la consommation de biens durables (voitures...) et se désengagent des paris à longs termes sur l'économie comme le soutien aux jeunes entreprises innovantes. « Elles se recentrent sur les activités qui produisent des profits plus réguliers », explique Dominique Lacoue-Labarthe, comme les prêts aux grandes entreprises et la gestion d'actifs profitables. En France, elles se retirent des syndicats bancaires qui financent les grands contrats commerciaux des avionneurs ou des constructeurs d'infrastructures.
« Ces changements de stratégies à long terme sont aussi une conséquence des exigences en capital des régulateurs », poursuit Dominique Lacoue-Labarthe. Bâle III qui exige d'immobiliser encore plus de fonds propres réduit la marge de manœuvre des banques. Selon elles, les exigences des régulateurs, qui menacent leur RoE, sont encore plus dangereuses pour l'économie que la récession elle-même.
« Bâle III touche vraiment aux RoE, à la capacité des banques à générer des profits à partir de leurs capitaux propres. Ce qui va pousser encore plus au fonctionnement parallèle et aux manipulations des résultats », commente Dominique Lacoue-Labarthe.
En cette fin d’année 2011, les banques ont du revoir leurs estimations à la baisse. La barre des 15 % de RoE qui était un plancher, devient un plafond. Mais à moyen terme, certaines entendent bien atteindre à nouveau des RoE de 25 %, après avoir effectué les arbitrages nécessaires. Quels que soient les risques pour le contribuable.
Claire Gandanger