16 mars 2023
À partir du 20 mars, le réseau social chinois TikTok sera interdit pour les 705 députés et huit mille fonctionnaires du Parlement européen. L’institution invoque des inquiétudes en matière de sécurité et de collecte des données.
TikTok sera intedit sur les téléphones portables professionnels, mais il est aussi fortement recommandé de le désinstaller sur le mobile personnel. © Émie Stervinou
Maison Blanche, Commission européenne et maintenant Parlement européen : TikTok rend toc toc les institutions. Dès le 20 mars prochain, la plateforme chinoise sera interdite au Parlement européen de Strasbourg.
« Ça s’adresse au staff, assistants, députés et agents : tout le monde est concerné », précise Delphine Colard, porte-parole adjointe du Parlement européen. Les députés et les huit mille fonctionnaires de l’institution ont été informés via un courrier de la Direction générale de l’innovation et du support technologique (DG ITEC) : « L'application TikTok ne doit pas être utilisée ou installée sur les appareils du Parlement. Ceux qui l’ont déjà téléchargé doivent la désinstaller dès que possible. » De plus, aucun mail professionnel ne pourra être exploité pour créer un compte sur la plateforme.
Le siphonnage de données
« Il y a des préoccupations en matière de sécurité en particulier la protection des données ou de collectes des données par des tiers », justifie Delphine Colard. L’institution suspecte que l’application chinoise utilise les informations personnelles à des fins d’espionnage. Le gouvernement chinois est en effet actionnaire de la maison mère de TikTok, Bytedance. Leurs liens étroits questionnent les Occidentaux sur l’opportunité de Pékin de récolter des renseignements précieux.
« À partir du moment où on utilise un logiciel chinois, nous n’avons aucune garantie que nos données ne circulent pas dans les sphères étatiques », expose Alain Bouillet, délégué général du CESIN (Club des Experts de la Sécurité, de l’Information et du Numérique). Pour lui, une entreprise chinoise ou américaine peut, sous la contrainte de lois, se voir transférer les informations personnelles de ses clients aux agences étatiques. C’est le cas des lois américaines Patriot Act et Cloud Act. « Il y a un phénomène de mouton de Panurge. On peut même sourire lorsqu’on voit que les Américains s’émeuvent de l'accès aux données par des gouvernements, alors qu’ils sont les premiers à le faire », termine-t-il. « Je ne crois pas qu’il s’agisse de la seule entreprise aujourd'hui qui capte, utilise et instrumentalise nos données », abonde Manon Aubry (co-présidente GUE/NGL, extrême-gauche).
Mais, pour l’instant, l’interdiction ne s’applique que pour TikTok. L’application avait avoué, en novembre dernier, la possibilité pour certains employés chinois d’accéder aux informations d’utilisateurs européens et de traquer des journalistes.
© Julie Lescarmontier
Ça parle au Parlement
Cette interdiction n’a pourtant pas fait grand bruit dans l’hémicycle. Peu de députés ont pris connaissance de cette décision. « Nous n’étions pas au courant. », explique un collaborateur de l’eurodéputé Yannick Jadot (Les Verts, écologistes). L’homme politique avait créé un compte lors de la campagne présidentielle française, aujourd’hui inactif. Il comptabilise près de quatorze mille abonnés.
La députée européenne Aurore Lalucq (S&D, sociaux-démocrates) n’était également pas informée de cette décision, elle se considère « boomeuse et perdue sur ce genre de plateforme ». Un fonctionnaire du Parlement, lui, n’est pas surpris, « Je savais qu’après la Commission européenne, l’interdiction allait arriver jusqu’ici », mais il avoue ne pas savoir la date d’entrée en vigueur.
Une décision unilatérale
« On n’a toujours pas les tenants et aboutissants de cette décision », explique Manon Aubry, rare eurodéputée présente et active sur l’application, avec ses seize mille abonnés. Elle continue en expliquant que l’injonction n’a pas été décidée collectivement.
L’application disparaîtra de tous les supports du Parlement : ordinateurs, téléphones et tablettes professionnels. Mais la question se pose concernant les appareils privés : « On ne sait pas si cela s’applique qu’aux outils du Parlement ou à nos mobiles personnels », demande Manon Aubry. Pour Delphine Colard, la réponse est claire : « il est aussi fortement recommandé de supprimer TikTok sur son téléphone personnel ».
TikTokeur un jour, TikTokeur toujours
Adepte de TikTok, l’eurodéputé allemand Malte Gallée (Les Verts, écologistes), diffuse régulièrement des directs de son travail dans l’hémicycle à ses 36 000 followers. « J'ai désinstallé TikTok de mon téléphone professionnel, mais je continuerai bien sûr à utiliser la l’application sur mes appareils privés. Je fais de la politique pour les jeunes et c'est sur TikTok qu'ils se trouvent », assure-t-il.
Jordan Bardella (ID, extrême-droite), qui comptabilise plus de 450 000 abonnés sur la plateforme, conservera également l’application sur son téléphone personnel. « Je continuerai à faire au moins une vidéo par jour avec mon compte. Grâce à l’application, je touche un autre public ». Pour lui, sa seule restriction, c’est « d’essayer de rester moins d’une heure par jour sur TikTok », rigole-t-il.
Émie Stervinou et Yann Rudeau