Pour les angoissés, les curieux et les habitués de la relaxation, le besoin de se détendre s’est fait ressentir. Coronavirus oblige, yoga, shiatsu et massage ont dû se faire à distance, quitte à perdre leur esprit. Pourtant, professeurs et élèves du Bas-Rhin pourraient bien prolonger la pratique.
“J’ai profité d’avoir du temps pour me mettre au yoga.” Agathe Divoux en avait besoin “pour se relaxer”. Après avoir suivi gratuitement plusieurs directs sur le compte Instagram de la yogi parisienne Aria, l'étudiante ingénieure à Strasbourg a pris un abonnement payant à son site. Comme Agathe Divoux, nombreux sont les Alsaciens qui se sont intéressés au yoga pendant le confinement. Entre le 16 et le 20 mars, les requêtes "yoga en ligne" ont augmenté de 300% dans la région, selon les statistiques de Google.
Les professionnels du corps détendu n’ont pas tardé à s’adapter à ce nouvel engouement. “Heureusement qu’il y a des ordinateurs, et heureusement qu’il y a Zoom !”, s’exclame Jennifer Will, yogi strasbourgeoise. Depuis la mi-mars, le studio Yogamoves qui l’emploie propose des cours en visioconférence. “Entre 20 et 100 personnes se connectent à chaque session”, détaille la professeure. Elle retrouve majoritairement des habitués, mais quelques nouveaux se glissent parfois dans les sessions.
Originaire d’Obernai, Christine Piel s’adonne au shiatsu. Depuis plus d'un an, elle se soumet régulièrement à cette méthode de relaxation japonaise par pression des doigts sur les points d'acupuncture. Avec la fermeture des cabinets, elle s'est aperçue qu'elle préférait pratiquer chez elle. “Quand on est avec d’autres personnes on se sent parfois moins à l’aise”, justifie-t-elle.
Transfert d’énergie rompu
Tapis de yoga au sol, bol tibétain, guirlande lumineuse, Murielle Ennesser, professeure indépendante, entame son cours par une lecture de mantras. Tout semble ordinaire. Sauf que les élèves l’écoutent derrière leur écran. Avant le confinement, elle n'enseignait qu'à des élèves physiquement présents. “C’est important pour le côté relationnel, pour qu’on puisse se voir, que je puisse toucher les personnes”, insiste la professeure. “Le yoga, c’est du transfert d'énergie et d’émotion.”
Difficile de conserver cette connexion quand on se trouve à des kilomètres de ses élèves.
À distance, difficile de bien guider et corriger les postures de ses élèves. © Murielle Ennesser
Calme, lâcher prise, concentration : pour ceux qui recherchent la détente au milieu de leur famille et face à un écran, les principes du yoga parfois se perdent. “J’ai l'impression d’avoir changé de métier, de contrôler les images de caméras de surveillance”, plaisante Jennifer Will.
Automassage, shiatsu et sophrologie - alliance d’exercices de respiration et de visualisation d’images mentales - se sont aussi accommodés du confinement, en provoquant parfois l’inverse de l’effet escompté. Personne n’aura de mal à imaginer le tapis de yoga disposé en quinconce dans le salon, entre la table basse et le buffet de grand-maman, pendant que bébé finit sa sieste et que le rôti dore au four. “Pour être vraiment détendu et effectuer au mieux les exercices, il faut être dans un contexte neutre, qui nous est rassurant. Être chez soi ne l’est pas forcément”, explique Chrystelle Fifre. Malgré la période propice à l’angoisse, cette sophrologue de Rosenwiller a résisté : elle n’a pas adopté la tendance des Zoom, Skype et autres lives Facebook. Selon elle, le contact physique facilite l’interaction et la compréhension de l’exercice. La présence du thérapeute et un cadre neutre, sans bruit, participe au sentiment de bien-être. Impensable dès lors de rencontrer de nouveaux patients sur internet.
Receveuse de shiatsu depuis quatre ans, Marie Le Pape s’est sentie perdue face à son écran : “J’ai suivi des cours d’auto-shiatsu guidés par Zoom mais ça ne me convenait pas du tout. Le shiatsuki donnait des informations trop rapides et compliquées en nommant les points d’acupuncture. Ça me stressait plus qu’autre chose.”
À quelques centimètres de leur webcam, les professionnels se sont fait à l’idée de devoir décortiquer chaque mouvement en donnant des explications quasi chirurgicales. Si en temps normal, ils sont là pour corriger les postures, stimuler et masser les bonnes parties du corps, le risque de blessure s’accroît lors des enseignements à distance. Mal pratiqué, le pranayama, contrôle de la respiration qu’enseigne Jennifer Will, peut provoquer de l’hyperventilation : “Comme je ne suis pas à côté, et que les micros sont coupés, je ne peux pas entendre les élèves, et ça peut être dangereux.”
Garder l’habitude… et le salaire
Sans pratique régulière, la souplesse et les réflexes se perdent. Malgré les inconvénients liés à la distance, c’est pour que le confinement n’ait pas raison des années d’entraînement que les disciplines relaxantes ont migré sur le web.
Il ne faut pas être naïf : il est évidemment aussi question de motivations économiques. Après avoir perdu 30% de ses revenus en mars, Mathilde Schirmer, professeure de yoga, pilates et fitness à Strasbourg, a pu limiter les pertes en avril : “À la base, je ne suis pas trop tournée vers le numérique. J’ai accepté de faire des cours en ligne parce que je ne voulais pas que mon activité cesse. Avec la fermeture des salles, ça aurait été très compliqué au niveau du chiffre d’affaires.”
Demain, une relaxation connectée
D’après un récent sondage Odoxa, plus de huit millions de Français ont pratiqué le yoga pendant le confinement, contre trois millions en 2018. Pour ces novices, qui n’ont pas idée de la dimension énergétique et collective de la discipline, les professeurs ont tout intérêt à continuer sur la lancée du distanciel. Mathilde Schirmer pense poursuivre quelques leçons via Skype. Le confinement lui a apporté une nouvelle clientèle venue de Paris, de Bruxelles, de Guadeloupe et de Prague. “Je veux garder ces clients, parce que si je déménage, je les aurais déjà conquis”, dit-elle.
Les autres activités relaxantes voient elles aussi une opportunité de développement grâce au numérique. Frédéric Monnot, maître shiatsu et coach professionnel, a lancé des sessions d’auto-shiatsu guidé. “C’est exactement comme une vraie séance, mais chacun d’un côté de l’écran”, explique-t-il. “On commence par un bilan énergétique avec des questions. Puis, la personne se palpe le ventre. En fonction des sensations qu’elle ressent au toucher et qu’elle me décrit, je sais ce qu’il lui faut travailler et sur quel point appuyer.” Entraînez vos doigts : cette autopalpation vous coûtera 45 euros.
Lola Breton
Juliette Fumey
Pour détendre des muscles fatigués d’être assis toute la journée, j’ai testé pour vous l’automassage en visioconférence.
Ma nuque craque, mon dos est ankylosé et mes pieds n’ont pas rencontré de semelles depuis deux mois. Mon corps semble désormais programmé pour rester en position assise : les effets du télétravail se font ressentir. Depuis quelques jours, je cherche un moyen de me détendre. Ce soir, grâce à internet, je vais en avoir l’occasion. À 19h, j’ai rendez-vous avec Marine Bidet, professeur strasbourgeoise de yoga et acroyoga - qui mêle yoga et massage - pour ma première séance collective d’automassage, sur Zoom.
Le mail de connexion à la séance m’a prévenue : pour ce cours en fasciathérapie - thérapie manuelle qui agit sur les fascias, ces membranes qui enveloppent muscles et organes - j’aurai besoin de balles de tennis. J’ai toujours su que l’éphémère carrière de mon frère me servirait un jour. Je dégote deux balles qui prenaient la poussière et les place dans une vieille chaussette. Me voilà parée pour une heure de détente.
Avant de désactiver les micros des six participantes, Marine Bidet prévient : “Si vous avez mal quelque part, une inflammation ou une opération récente, ne travaillez pas sur ces parties du corps.” Rien à signaler de mon côté, l’expérience va pouvoir être complète. La professeure invite à se coucher sur le sol pour respirer. Mon ordinateur est posé sur mon bureau. Impossible de voir l’écran tout en restant allongée. L’instructrice nous montre son dos, pour que nous comprenions où placer la chaussette remplie de balles une fois à terre. Je me redresse et tente de l’imiter. Aïe, une crampe dans la nuque ! La chaussette glisse entre le sol et mes vêtements. Les balles se séparent lorsque je m’allonge dessus. Est-ce normal ? Je m’assois pour jeter un coup d’œil à Marine Bidet, qui effectue les exercices sans cesser de nous guider à la voix. Je tombe nez à nez avec son chat - par webcams interposées. “Les joies de faire des cours à la maison”, soupire la professeure en l’emportant hors de la pièce.
La séance se poursuit. De la tête au pied dans un sens, du pied au visage dans l’autre, je fais rouler mon corps sur les balles jaunes. “Observez les sensations que le massage vous procure”, répète l’animatrice. En passant sur le cou et le dos, les balles me donnent des frissons dans la colonne vertébrale. Au contact de mes cuisses, je sens des muscles profonds, presque insoupçonnés, se décontracter lentement, dans un mélange de douleur et de soulagement. Sous mes pieds, les tensions se dénouent. “En réflexologie plantaire, on associe chaque partie du pied à des endroits du corps entier”, explique Marine Bidet. D’où cette sensation exacerbée.
Au bout d’une heure de massage, j’ai l’impression que ma peau grésille. “N’oubliez pas de bien vous hydrater après la séance pour éliminer les toxines”, rappelle la yogi strasbourgeoise. Je quitte la visioconférence sans savoir si cela m’a vraiment détendue. Consciencieuse, je bois plusieurs gorgées d’eau et retourne vaquer à mes occupations. Ce n’est que quelques jours plus tard, lorsque le stress et la fatigue viennent blesser mes muscles et mes tendons, que je repense à cette expérience de confinement. Je songe à la renouveler, seule, sans avoir à m’assurer de la qualité de ma connexion, à vérifier que mon micro est bien coupé et à deviner les gestes à reproduire. J’attendrai peut-être plutôt de m’abandonner aux mains d’un vrai masseur.
Lola Breton