04 octobre 2019
Depuis deux mois, le squat « Hôtel de la rue » s'est installé dans l'ancien siège de la brasserie Gruber, à Koenigshoffen. La bâtisse est pourtant vouée à accueillir une maison des services publics. Une partie des habitants, enthousiasmés par le projet, craignent qu'il ne se réalise jamais.
Actuellement occupé par l'Hôtel de la rue, l'ancien siège de la brasserie Gruber devait servir de maison des services publics. / Photo Thémïs Laporte
« On avait déjà les murs, un projet solide, des rendez-vous avec les architectes… Tout ça est aujourd’hui suspendu à une décision judiciaire… » Dépités, six habitants de Koenigshoffen se posent la même question, mercredi 2 octobre, lors d’une permanence du conseil citoyen du quartier. Verront-ils un jour sur pied la maison des services publics, projet qu’ils soutiennent à bras le corps depuis deux ans ? Avec l’installation le 22 juillet dernier de l’Hôtel de la rue, un squat de 160 personnes, dans l’ancien siège de la brasserie Gruber, le plan est aujourd’hui contrecarré.
Après l’enthousiasme, la résignation
Tout avait pourtant bien commencé. L’Eurométropole avait préempté le bâtiment, inoccupé depuis 2010 et racheté par la Ville de Strasbourg en 2018 pour un montant de 910 000 €, au RSI, le régime social des indépendants d’Alsace. Les architectes s’étaient déjà mis au travail et les travaux de rénovation devaient commencer d’ici un an.
De leur côté, plusieurs habitants de Koenigshoffen s’étaient montrés intéressés par la concentration de services administratifs. Le centre médico-social, la mairie de quartier, les locaux de la direction du territoire, une antenne de la CAF, de la CPAM, un pôle fracture numérique avec des ordinateurs, des accompagnateurs et une permanence Pôle emploi devaient être regroupés dans un même bâtiment, route des Romains.
« Le dispositif entendait ramener de la proximité à Koenigshoffen, alors qu’on est l’un des seuls quartiers prioritaires de la ville à ne pas posséder, encore, de maison des services publics », témoigne Suzanne B., membre du conseil citoyen et bénévole à Par’Enchantement, l’association des parents du quartier. On n'est pas contre l’Hôtel de la rue, mais ce projet correspondait à nos attentes. Imaginez qu’aujourd’hui, on doit prendre une demi-journée pour aller à la CPAM ! »
« C’est pénible de savoir que c’était un beau projet et qu’un jour... paf ! C’est squatté », résume Mohamed Erramami. Le médiateur habitat à l’association Par’Enchantement se sent impuissant, « d’autant qu’il y a de grosses structures associatives qui soutiennent le squat Gruber… »
La Ville entre deux feux
Pour ces bénévoles actifs dans le quartier, la mairie de Strasbourg pèche par son inaction. « Lorsqu’on l’a vue mettre à disposition des bennes pour les ordures, on s’est dit "c’est fini pour notre maison des services publics" », témoigne Sahid. En réalité, la Ville ne faisait qu’appliquer la loi. « Dans tous les cas, depuis l’Hôtel de la rue, il y a de moins en moins de monde aux réunions du conseil citoyen », constate-t-il.
Sous le feu des critiques, la mairie a tenté de clarifier sa position, dans un communiqué publié le 31 août dernier. Faisant un pas vers les habitants mécontents, elle rappelle avoir déposé plainte dès le 24 juillet, pour « occupation illicite » du bâtiment. « Il s’agissait de signifier clairement qu’une telle occupation ne saurait être durable dans ce site, où la Ville avait déjà engagé un projet », précise-t-elle. Edson Laffaiteur, président de l’association La Roue Tourne, qui gère le squat, doit ainsi comparaître face au juge le 5 novembre prochain, à 8h45.
D’ici là, et le début des travaux de la maison des services publics, la municipalité indique qu’une « évolution positive et responsable de la situation (...) ne se fera pas sans un dialogue et la mise en place d’un projet structuré, avec des compétences reconnues en matière d’hébergement d’urgence et d’accompagnement sanitaire et social ».
Avec les municipales, une période d’expectative
À l’Hôtel de la rue, on souhaite en tout cas faire perdurer le squat. Pour preuve, plusieurs bénévoles travaillent à l’élaboration d’une convention et souhaitent s’entourer de professionnels. « Des médecins, des psychologues, des assistants sociaux, des éducateurs… Il nous manque ces compétences, on sait qu’on ne peut pas tout faire », explique Edson Laffaiteur.
Reste que dans les rues de Koenigshoffen, certains soutiennent l’Hôtel de la rue et mettent en avant la nécessité d'avoir un toit. D’autres ne se sentent pas concernés et beaucoup ignorent tout de ce qui se joue au parc Gruber. De son côté, la mairie entretient le flou sur les échéances de la maison des services publics. Sa position d’équilibriste, pour ne fermer le dialogue ni avec les uns, ni avec les autres, n’aide pas à y voir plus clair. Et Mohamed, l’une des six personnes présentes à la permanence citoyenne, d’avancer : « Sauf si la justice en décide autrement, la situation pourrait perdurer. A l’approche des municipales, je ne pense pas que des politiques se risqueront à chasser quiconque du squat. »
Nicolas Arzur et Thémïs Laporte