Violences et incivilités ont augmenté rue du Faubourg-National avec la pandémie, au point d'alimenter un conflit politique. Riverains et commerçants se sentent instrumentalisés.
“Ici, les squatteurs se sentent dans la toute-puissance”, lance Claire, à l’affût d’une éventuelle présence sous ses fenêtres. Habitante du Faubourg-National depuis 38 ans, elle connaît par cœur l’histoire de la rue et ses difficultés. “Le quartier n’a jamais été calme”, confie-t-elle. Le “faubourg du Subutex”– comme les habitués l’appellent – a toujours été réputé pour son trafic du produit de substitution à l’héroïne, mais aussi pour ses rixes. L’arrivée du tramway en 2010 et de nouvelles enseignes (la brasserie Le Tigre en 2018, le supermarché Casino en 2020, ndlr) présageait l’évolution positive d’un quartier à problèmes. Mais les espérances des riverains ont été balayées par la pandémie. Claire, qui tient tant à sa rue, dénonce une “appropriation de l’espace public” par une poignée d’individus. Une gérante de boutique décrit quant à elle un “regain de violence” depuis le premier confinement.
Un camion de CRS se fraye un chemin parmi les passants. © Robin Schmidt
Selon les résidents et commerçants, cette hausse de l’insécurité a débuté avec la réquisition de l'Hôtel Pax (aujourd’hui le Clap Clap, ndlr) en mars 2020. Des personnes précaires et des toxicomanes y ont été accueillis par dizaines. Deal, alcoolisme sur la voie publique, agressions à l’arme blanche, braquages ou encore nuisances sonores ont rythmé la vie du Faubourg durant cette période particulière. Confinés chez eux, les riverains ont assisté impuissants à la montée des incivilités et violences.
“Dire qu’il n’y avait rien avant mars 2020, ce n’est pas vrai. Il y a eu un glissement du type de violences”, assure une vendeuse, résidente du quartier. Un homme en état d’ébriété, hébergé au Pax, a agressé d’autres personnes avec un sabre. Cette insécurité a “perduré, même après le confinement”, confie le président de l’association des commerçants de la rue, Geoffroy Lebold. Les citoyens se sont régulièrement plaints de la présence de squatteurs et de trafiquants. Ces derniers se seraient sédentarisés, pérennisant une atmosphère tendue. “On doit s’excuser de vivre dans le quartier”, déplore un riverain agacé.
Les commerces animent le Faubourg-National du côté du centre-ville. © Azilis Briend
Des policiers interviennent à l'entrée du Faubourg-National le 17 novembre 2022. © Robin Schmidt
Déploiement de CRS
En réponse, des collectifs d’habitants – soutenus par l’opposition municipale – se sont formés. Ils ont interpellé la mairie écologiste une quarantaine de fois. En août 2022, Pierre Jakubowicz (Horizons) a tiré la sonnette d'alarme en envoyant un courrier au ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. Il y citait le Faubourg-National comme une zone d’insécurité. Un mois plus tard, la préfète Josiane Chevalier, en visite au quartier Gare, annonçait un plan de lutte en "coproduction" avec la mairie contre “le sentiment d’insécurité”.
Quinze CRS ont été déployés dans le quartier Gare, en plus des policiers nationaux et municipaux déjà mobilisés. Une initiative qui semble porter ses fruits et qui rassure une partie de la population.
“On a retrouvé une certaine sérénité, mais les problèmes ont migré vers le fond de la rue [du côté de la place Sainte-Aurélie], affirme le gérant d’un commerce. D’autres résidents, sceptiques, s'attendent à ce que la présence de CRS, postés au carrefour de la rue de la Course, ne soit pas durable. Malgré les rondes policières, des squats et incivilités subsistent au niveau du Barber 31 et du Laas Café. “On dirait qu’ils tiennent les murs”, confie une citoyenne exaspérée.
Un conflit politique
Derrière son comptoir, la responsable d’un magasin soupire. Elle déplore “l’instrumentalisation de l’insécurité” et le “coup de buzz” politique autour du sujet. En rangeant ses rayons, un commerçant pose la question qui est dans toutes les têtes : “Qu’est-ce qu’on met en place pour l’avenir ?” Chacun campe sur ses positions et défend ses solutions. Le conseiller municipal d’opposition Pierre Jakubowicz propose de ressusciter l’arrêté municipal “anti-mendicité agressive” et celui interdisant la consommation d’alcool sur la voie publique, tous deux abrogés par la mairie écologiste. “Il faut de la vidéoprotection et une réflexion en termes d’aménagement urbain”, appuie-t-il. Sur cette dernière proposition, il n’est pas contredit par Marie-Dominique Dreyssé (EELV), l’adjointe élue référente du quartier. Elle reproche au conseiller municipal d’opposition d’entretenir “l’image d’un quartier de la gare digne du Bronx”.
La présidente de l’Association d’habitants du quartier de la gare (AHQG), Myriam Niss, propose de mettre en place une “police de proximité, au plus près des citoyens”. Une idée qui trouve un écho favorable auprès de Claire et d’autres habitants. La résidente soumet l’idée “d’éducateurs de rue” qui iraient au contact des personnes marginalisées et sédentarisées au niveau du Faubourg-National, pour les accompagner dans leur insertion. La municipalité, qui défend le “vivre-ensemble”, assure entendre ces revendications. Mais elle n’a rien annoncé de concret pour l’instant. Le dialogue de sourds semble avoir encore de beaux jours devant lui.
Azilis Briend et Robin Schmidt
Police et vidéoprotection sur le Faubourg-National. © Azilis Briend et Robin Schmidt