Face à la demande croissante de batteries lithium-ion et à la transition énergétique, l'Europe cherche à relocaliser sa production. Ambition revendiquée : l’indépendance en matière de métaux critiques pour ne plus dépendre des acteurs dominants du marché, la Chine, l’Australie et l’Amérique du Sud. Un vœu pieu ?
Objectif en 2025 : extraire 80 % des besoins européens en lithium sur son territoire. C’est ce que l’Union européenne prévoit dans son rapport de novembre 2021 sur les matériaux critiques. Un chiffre bien ambitieux pour un territoire qui, en 2018, importait 70 % de son lithium, majoritairement du Chili.
Subvenir à 80 % de ses besoins en seulement trois ans ne sera donc pas une mince affaire. Même en ouvrant 33 mines sur le territoire européen. La quasi-totalité des projets est encore en phase d’exploration. Les trois mines les plus avancées, en Finlande, au Portugal et en République Tchèque, prévoient une production commerciale pour 2024, au plus tôt. Et si les entreprises estiment pouvoir tirer profit de leurs mines pendant 18 ans en moyenne, les écarts sont grands selon les projets. En Finlande, Keliber Technology Oy prévoit d’exploiter deux de ses mines pendant seulement quatre ans. Au maximum, et toujours selon les premières estimations des sociétés, seules quatre sites sur les 33 seraient en mesure de produire du lithium pendant 30 ans.
Les illusions perdues
À Bruxelles, des députés commencent même à revoir leur objectif à la baisse. En novembre dernier, l’eurodéputée espagnole Sira Rego (GUE/NGL) portait au Parlement l’amendement prévoyant la production de 80 % des besoins européens en lithium d’ici 2025. Mais quatre mois plus tard, contactée par Cuej.info, elle fait une volte-face surprenante : “Je crois que nous ne pouvons plus entretenir l'idée que l'Europe sera autosuffisante. Les réserves sont gérées en fonction de la demande, qui devrait être exponentielle dans les prochaines décennies. Ce serait donc irréaliste et non durable d'atteindre l'autosuffisance.”
Il n’y a pas que les eurodéputés qui remettent en question ce chiffre de 80 %. Un rapport français sur les matières premières minérales, remis au gouvernement en janvier 2022, évalue l’autonomie de l’UE à seulement 30 % d’ici 2030. L’année dernière, l’Union produisait à peine 1 % de ses batteries au lithium.
Le mirage des batteries “made in Europe”
Mais avant de pouvoir utiliser le lithium extrait du sol européen, encore faut-il le raffiner. Et là aussi, l’Europe est à la traîne. Aucune raffinerie n’est pour le moment opérationnelle sur le territoire. Plusieurs usines vont être construites en Allemagne, Autriche et Grande-Bretagne, mais pas avant 2023. Et elles ne suffiront pas à couvrir les besoins. “Même dans un scénario idéal, si toutes les usines de raffinage fonctionnaient en 2026 ou en 2030, on serait capable de raffiner, au maximum, le tiers de la demande européenne. Même si 30 % c’est mieux que rien, on ne sera jamais indépendants”, affirme André Majdalani, directeur des ventes et du marketing chez AMG Lithium, l’une des usines de raffinage qui ouvrira en 2023 en Allemagne. George Miller, analyste expert du marché du lithium, partage cet avis. Il confirme que l'Europe deviendra de plus en plus indépendante grâce aux gigafactories prévues, mais doute sérieusement que l’indépendance à 100 % puisse être atteinte. L'expertise fait actuellement défaut. Le Vieux continent devrait rester dépendant de la Chine et des pays d'Amérique du Sud, champions du raffinage dans les années à venir.
Dernier espoir de l’Europe pour assurer son indépendance : les gigafactories. En 2017, la Commission européenne lançait l’Alliance européenne des batteries, un plan d’action destiné à développer les projets d’usines de batteries à travers l’Europe. Elle doit permettre à l'UE de ne plus dépendre des pays asiatiques, les leaders mondiaux de la fabrication de batteries. Baptisé “Airbus européen des batteries”, ce projet est dans les faits loin d’être uniquement européen. Près d'un tiers des investisseurs viennent d’Asie, majoritairement de Chine et de Corée du Sud. Contactée par Cuej.info à propos de ce chiffre, l'Alliance européenne des batteries n'a pas répondu à notre demande.
Le constat est le même pour l’exploitation des mines sur le continent où la moitié des entreprises n’est pas européenne. L'UE peut-elle se targuer d'une réelle indépendance en matière d’extraction de lithium, tout en laissant autant de marge à des entreprises étrangères ?
Le rêve de l’indépendance risque, de plus, de se heurter aux mobilisations des populations locales, notamment en Espagne et au Portugal, qui redoutent les conséquences de l’ouverture des mines. Car au-delà de l’impossible indépendance énergétique, la course au lithium pose la question de son coût environnemental.