La compétition européenne s’est imposée ces dernières années comme un évènement sportif incontournable. Ce succès vient avant tout des émotions qu’il procure à ses amateurs.
La rencontre France-Angleterre s'est déroulée en 2010, au Stade de France, lors du Tournoi des Six Nations. © Éric Henry
Les aficionados débattent encore des mois après le coup de sifflet final de l’ultime rencontre. Qui méritait le plus le Grand Chelem ? L’Angleterre, le Pays de Galles, la France, l’Écosse, l’Irlande ou l’Italie ? Ils s’écharpent sur le coup de génie, le moment de tension, le point de bascule ou l’erreur malencontreuse d’un joueur.
Alors que la 128e édition du Tournoi des Six Nations a commencé le week-end dernier, l’engouement autour pour ce rendez-vous populaire ne désemplit pas. Près de 6 millions de téléspectateurs en moyenne ont assisté à la victoire de la France face à l’Italie (37-10) au Stade de France. Un pic de 7 millions a même été enregistré. Soit 40% de part de marchés pour France Télévisions sur ce créneau du dimanche après-midi.
Peu d’évènements en Europe peuvent se targuer de nourrir autant de ferveur et d’attente. Si beaucoup de néophytes suivent ce tournoi et passent outre les règles alambiquées du rugby, c’est qu’ils se concentrent sur l’essentiel : les sensations que procure ce tournoi.
Un tournoi historique
En 1882, Charles Darwin mourrait d’une insuffisance cardiaque, Nietzsche publiait Le Gai Savoir et Jules Ferry redéfinissait en profondeur le système éducatif français. C’est cette année-là précisément qu’eut lieu le premier tournoi. Celui-ci ne deviendra officiellement le tournoi des cinq nations, avec l’admission de la France, en 1910.
Le tournoi, interrompu après 1939, n’a pu reprendre qu’en 1947. Avec la fin des deux conflits mondiaux, la fureur du feu et la guerre des hommes laissèrent enfin la place à l’affrontement des joueurs. Le format du tournoi, tel qu’on le connaît aujourd’hui, n’existe que depuis 2000 avec l’entrée de l’Italie.
Le rugby, sport de contact par excellence, symbolise parfaitement l’engagement physique des joueurs dans un combat rude et parfois brutal pour le gain de la partie. À d’autres moments de leur histoire, les nations qui composent le tournoi se sont affrontées dans des combats qui n’avaient rien d’un jeu. À l’époque, les hommes qui s’opposaient n’étaient pas motivés par les applaudissements du public, mais par la peur de la Grande Faucheuse. Ce tournoi, en tant qu’entité canalisatrice des rivalités entre les nations, contribue chaque année à la pacification des relations entre ces pays européens devenus amis.
Persistance des antagonismes
La trace de l’histoire n’est cependant jamais bien loin et des rivalités illustres subsistent au sein même du tournoi. Le « Crunch » désigne par exemple l’affrontement historique entre les équipes du XV de la rose (Angleterre) et les Bleus (la France). Très attendu de part et d’autre de la Manche, il fait monter d’un cran la pression et la tension chez les supporters respectifs.
La Calcutta Cup est également le nom du trophée remporté par le vainqueur du match entre l’Écosse et l’Angleterre. Sa légende est née un jour de Noël 1872, dans la capitale de l’Empire des Indes britanniques. L’Écosse a d’ailleurs remporté la 140e rencontre entre ces deux pays samedi dernier.
Des hymnes et des stades mythiques
Les poils qui se hérissent, cette tension qui étreint la poitrine avant chaque début de match. Ces sensations trouvent leur paroxysme au moment des hymnes. Ce moment où l’équipe des quinze vaillants communie avec son public et fait presque corps avec lui. Que l’on soit derrière son poste de télévision ou dans le stade, ce moment solennel exalte la ferveur nationale dans un seul et même élan.
Les six hymnes du tournoi possèdent leur spécificité. Flower of Scotland, l’hymne écossais incarne magistralement l’affrontement symbolique. Le son envoûtant de la cornemuse, puis ce léger moment de flottement lorsque le public reprend a capella le chant lors des matchs à Édimbourg. Le poids de l’histoire se ressent jusque dans les racines des paroles, car le chant dépeint l’affrontement entre le cruel roi anglais Édouard et les paysans écossais à la fin du XIIIe siècle. Le ton militaire et révolutionnaire de la Marseillaise, le sobre et respectueux God Save The Queen anglais, le puissant souffle gallois et son Hen Wlad fy Nhadau, les deux hymnes irlandais ou encore le solennel Fratelli d'Italia, sont autant de manières de célébrer les cultures de chaque nation participante.
Mais les hymnes ne seraient rien sans les stades mythiques dans lesquels le public s’époumone. Car, à quelques exceptions près, tous les matches du tournoi ont eu lieu dans les mêmes stades depuis sa création. Ces temples du rugby sont entrés dans la légende et pour certains, il n’est même plus nécessaire de leur adosser l’appellation « stade ». Ils ont pour nom Twickenham à Londres, Saint-Denis en France, Millennium Stadium à Cardiff, Stade olympique à Rome, Murrayfield à Édimbourg et Aviva Stadium à Dublin.
Pour toutes ces raisons, les émotions procurées par le Tournoi des Six Nations sont uniques en leur genre. Au point que le silence qui suit la fin du tournoi est encore empli de musique.
Émilien Hertement
Édité par Camille Bluteau