Alors que les Syriens continuent de manifester et que le Régime de Bachar al-Assad continue de tuer, la Russie envoie des émissaires. Photo: Syriana2011
Tandis que les bombardements ont repris lundi sur la ville de Homs et que les Etats-Unis et la Grande-Bretagne viennent de fermer leurs ambassades à Damas, la Russie envoie deux émissaires en Syrie. Le chef de sa diplomatie, Sergueï Lavrov, et le chef de ses services de renseignements extérieurs, Mikhaïl Fradkov sont attendus ce mardi dans la capitale syrienne. Trois jours après avoir bloqué, avec la Chine, une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies contre les violences en Syrie, la Russie veut faire entendre sa voix dans le concert des nations.
La Russie veut reprendre la main dans les négociations
Le Kremlin effectue “ une mission de reconnaissance ”, pour évaluer la situation sur place, estime l'historien Vladimir Akhmedov, spécialiste du Proche-Orient cité par l’agence Ria Novosti. Selon lui, l’objectif de Moscou est de montrer aux occidentaux qu’après avoir mis son veto à l’Organisation des Nations unies (ONU) samedi, la Russie est prête à “ prendre des mesures concrètes pour trouver des solutions politiques ”. “La Russie essaie de hausser le ton pour prendre le contrepied de la diplomatie occidentale ”, complète Julien Nocetti, de l’Institut français des relations internationales (Ifri).
Lundi, Sergueï Lavrov a déploré que la résolution onusienne ait été votée avant la mission russe en Syrie. “ Nous avons demandé aux co-auteurs de la résolution d’attendre encore quelques jours pour qu’on puisse discuter de la situation ” après cette visite, a souligné le chef de la diplomatie russe. Il a rappelé que le Kremlin avait soutenu de manière active en novembre l’initiative de la Ligue arabe “ sur la nécessité de faire cesser les violences d’où qu’elles viennent. ” La Russie reprochait à la résolution retoquée samedi de n’avoir prévu des mesures détaillées que pour le gouvernement syrien, et donc pas pour les rebelles.
Parce que la Russie veut cultiver une relation privilégiée avec la Syrie
“ La Russie entend prendre la main dans la résolution de la crise syrienne et se poser comme un acteur incontournable dans une zone qu’elle tente de réinvestir depuis le début des années 2000 ”, analyse Julien Nocetti.
La vente d’armes russes au régime syrien est largement présentée comme la clé des relations actuelles entre les deux Etats. Fin janvier, Damas passait commande de 36 avions militaires d’entraînement Yak-130 auprès de son allié russe. L’expert de l’Ifri souligne pourtant que le complexe militaro-industriel russe “ n’a pas un besoin vital de la crise syrienne pour remplir ses carnets de commande. Les ventes d’armes à la Syrie ne représentent aujourd’hui qu’une faible part des transactions militaires russes.” Pour lui, la relation de la Russie avec la Syrie est “ avant tout empreinte d’une charge émotionnelle forte car les deux pays entretiennent un partenariat privilégié depuis l’époque soviétique ”.
Pour le Figaro, les militaires russes sont omniprésents en Syrie, car avec ou sans Bachar al-Assad, la Russie veut conserver sa tête de pont au Moyen-Orient.
La Russie pourrait inciter Bachar Al Assad à abandonner le pouvoir
Moscou entend “ faire tout son possible pour une stabilisation rapide» en Syrie, favorisant «la mise en place de réformes démocratiques indispensables ”. Mais le chef de la diplomatie russe n'a pas révélé son message au régime de Bachar al-Assad. Sergueï Lavrov pourrait venir négocier les conditions d'un départ du président syrien, comme le suggèrent plusieurs experts russes contactés par l'AFP. “Il est possible qu’il y ait une tentative de convaincre le président Assad d’accepter la proposition de la Ligue arabe”, c’est-à-dire de céder sa place à un vice-président, appuie Vladimir Akhmedov.
Derrière la crise syrienne, la Russie veut protéger l'Iran
“ Les diplomates et experts russes voient dans ce qu'il se passe en Syrie le prélude à une intervention en Iran ” qui déstabiliserait toute la région, ajoute Julien Nocetti. “ Il y a en Russie une vraie rhétorique du complot ” américain.
Pourtant le scénario d'une extension de la crise syrienne à l'Iran ne serait pas le cataclysme annoncé. L’expert rappelle que la Syrie est de plus en plus isolée et que l'Iran sortirait fragilisée d'une extension de la crise. “ L'Etat chiite n'a d'ailleurs salué qu'avec discrétion le veto russe de samedi.”
La Syrie est en train de devenir le terrain d'affrontement entre un axe sunnite, du côté de la rébellion, et un axe chiite iranien, du côté du régime. Derrière la révolte syrienne, “ c'est l'Iran et l'Arabie Saoudite qui s'affrontent ”, analyse Julien Nocetti.
La Russie veut éviter la contagion à sa zone d’influence directe
L’intransigeance de la Russie sur la question syrienne répond aussi à des enjeux intérieurs à l’approche de l’élection présidentielle de mars 2012. Le Kremlin veut “ éviter une contagion du Printemps arabe non seulement en Russie-même mais surtout dans ses régions satellites du Caucase et d’Asie Centrale ”, estime le chercheur.
Claire Gandanger avec AFP