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27/09/24
15:27

L’artiste Shab, témoin et actrice du soulèvement des femmes iraniennes

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Shab et une illustration de Mahsa Amini réalisée par l'illustratrice strasbourgeoise. Photo : Shab

“Le plus important, ce n’est pas moi, c’est le combat féministe.” Sur les grilles de l'Hôtel de Ville de Strasbourg, les portraits de femmes exposés dévoilent bien plus que des visages : elles incarnent la résistance des femmes iraniennes, deux ans après la mort de Mahsa Amini. Derrière chaque trait se cache la main de Shab, 48 ans, une artiste guidée par une révolte aussi personnelle qu’universelle. 

Née en 1976 à Strasbourg, elle a été élevée par deux parents iraniens, dans une maison où elle n’a “jamais manqué de rien”, si ce n’est “d’amour” et surtout, de “réponses”. Comment la petite fille qu’elle était pouvait comprendre pourquoi son “papa n’était pas toujours très tendre” avec elle ? 

À la maison, la culture iranienne est relativement absente : elle ne se rend qu’une fois dans le pays au cours de son enfance, voyage dont elle garde des souvenirs flous. À cette époque, elle ne peut pas comprendre d’où vient la violence ordinaire qui règne dans le foyer familial. Elle n’a pas conscience que ce père qui l’élève “a été élevé dans une génération éduquée avec l’idée que la femme reste la moitié d’un homme”. 

Quand l’autoportrait devient résistance

Alors, Shab grandit dans le silence de ses racines. Très vite, l’art lui sert d’expiatoire. Durant plusieurs décennies, elle se consacre à la danse et l’expression corporelle. Ce n’est qu’en 2021, après avoir largement passé la quarantaine, qu’elle se plonge dans le dessin numérique, sur la suggestion d’un éditeur alsacien. "C’était un univers joyeux au début, des cartes postales pleines de fleurs, des messages d’amour, d’anniversaire. Mais à un moment, ça n’a plus suffi. Mon histoire, mes blessures, tout est revenu en moi."

De cette révolution intérieure naît "Vanda", en août 2022, un autoportrait qui marque un tournant dans sa pratique artistique. “C’est une période où je réalise plein de choses, comme mère et comme femme d’un petit garçon”, confie Shab, pudiquement. “Tous les hommes du côté de mon père ont été des hommes violents avec leurs femmes ou leurs filles, dans le besoin de contrôle”, continue-t-elle. À cette période, elle ne sait pas que le visage de Mahsa Amini va, un mois plus tard, bouleverser le monde.

Cet autoportrait, sur lequel une femme fait un doigt d’honneur au patriarcat, symbolise sa révolte face à la violence intériorisée qu’elle a subie. Sans le savoir, à travers son histoire, elle vient d’offrir sa première contribution au combat contre les violences qui gangrènent le quotidien des femmes en Iran.

Créer pour transcender la violence

Le 16 septembre 2022, une jeune femme kurde de 22 ans, Mahsa Amini, meurt en détention après avoir été arrêtée pour « port de vêtements inappropriés » par la police des mœurs. Le drame déclenche le soulèvenement "Femme, Vie, Liberté", qui ébranle les fondations du régime et coûte la vie à des centaines de militantes. Pour Shab, l’écho est évident : depuis Strasbourg, elle se joint au mouvement, mettant ses talents de dessinatrice à son service. “Sur les réseaux, je voyais des femmes au sol recevoir des coups de pied. Quand on connaît cette douleur, il faut agir”, martèle-t-elle. 

Alors, elle s’efforce de ressortir quelque chose de “cette violence inouïe” : des oeuvres colorées, puissantes, qui transcendent “le côté sanglant et abominable de l’histoire”. Cette série de portraits, intitulée Les Womenifiques, est partiellement exposée sur les grilles de l’Hôtel de Ville de Strasbourg du 16 septembre au 29 septembre. Parmi les dessins qui s’étalent sur la devanture du bâtiment, il y a celui de trois silhouettes d’étudiantes féminines, particulièrement représentatif de l’œuvre de Shab.

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Un portrait réalisé par l’artiste Shab, devant l’hôtel de ville de Strasbourg. Photo : Clara Lainé

Hors-champs, “elles font des fucks, au portrait de l'Ayatollah Khamenei”, souligne l’artiste, un sourire malicieux dans la voix. "Chacune de mes œuvres porte en elle une part de ma propre histoire, mais aussi de celle de milliers de femmes.”

Un art engagé, un risque assumé

"Depuis que je soutiens la révolution Femme, Vie, Liberté, je fais partie de ceux et celles qui prennent des risques." Le régime des mollahs n’épargne personne, et Shab le sait : retourner en Iran serait trop dangereux. "Je ne peux pas retourner dans le pays tant que ce régime est en place. Mais je continuerai à me battre à travers mon art, à dénoncer l’absurdité de ce pouvoir qui colonise non seulement les corps, mais aussi les esprits."

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Un portrait réalisé par l’artiste Shab, devant l’hôtel de ville de Strasbourg. Photo : Clara Lainé

Aujourd'hui mère d'un petit garçon de sept ans, la Strasbourgeoise est animée par la volonté de briser les schémas violents qu'elle a connus. "Mon fils me voit dessiner, il m’aide même parfois, en me disant où mettre du jaune, du rouge”, rapporte-t-elle. Pourtant, il a conscience que ce n’est pas qu’un jeu. “Il  sait que sa maman dessine pour les femmes qui crient dans les rues en Iran”, souffle Shab, convaincue qu’il est essentiel de poser des mots, de parler.

Des questions qui éloignent, mais libèrent

C’est un luxe dont elle ne bénéficie pas, aujourd’hui encore, auprès de ses propres parents. "Mon père vient de décéder. Notre relation s’est détériorée les dernières années. Il n’a jamais compris ce que je faisais. Il pensait que ça ne servait à rien." La voix de Shab vacille légèrement lorsqu’elle évoque ce passé douloureux. "Je touche à des sujets sensibles avec mon besoin de savoir, et ma mère s’est considérablement éloignée depuis que j’ai commencé à poser ces questions." 

Malgré cela, elle avance, portée par la sororité présente au sein de la diaspora iranienne et à travers le monde. "Je fais des rencontres extraordinaires, des femmes qui partagent ces luttes, qui ont vécu des traumas similaires. Ensemble, on crée des collectifs, on manifeste, on se soutient." Son regard est tourné vers la prochaine génération de femmes qui, espère-t-elle, n’auront plus à se battre pour “tout simplement exister”. 

Clara Lainé

Édité par François Bertrand

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