Prisonnier politique depuis la publication, en 2010, de documents confidentiels américains, Julian Assange encourt 175 ans de prison aux États-Unis. Pour faire porter sa voix au parlement européen, seuls quelques députés se mobilisent encore.
Ce jeudi 8 février, des députés européens se mobilisent au parlement, à Strasbourg, pour demander la libération de Julian Assange. © Laura Beaudoin
Véritable déflagration. Lorsque Julien Assange, à la tête de Wikileaks, publie en 2010 des documents confidentiels révélant certaines dérives de la politique militaire américaine et des crimes perpétrés en Irak et en Afghanistan, il secoue le monde entier. Condamné par les États-Unis pour espionnage, il se réfugie d’abord dans l’ambassade d’Équateur à Londres, avant de finir incarcéré en 2019 dans une prison anglaise. Il fait aujourd’hui l’objet d’une procédure d’extradition vers les États-Unis, où il encourt 175 ans de prison. Mais les énièmes rebondissements de cette affaire tentaculaire ont fini par perdre l’opinion publique. Quatorze ans plus tard, plus grand monde ne semble s’inquiéter du sort de Julien Assange, ou presque. Au parlement européen, une petite poignée de députés tente de faire porter sa voix à travers une exposition : L’affaire Assange : prix et distinctions.
« Cette exposition est une manière de témoigner un soutien institutionnel à travers le parlement européen », affirme Sabrina Pignedoli entre un bout de sandwich et un verre de jus d’orange. Attablée à la cafétéria du parlement, ce jeudi midi, la députée italienne du Mouvement 5 étoiles est de passage à Strasbourg pour assister aux séances plénières. D’une pierre deux coups, Sabrina Pignedoli a profité de ce séjour express pour alerter sur la détention du fondateur de Wikileaks.
« Les patrons des institutions européennes ne sont pas très solidaires »
Cette exposition est aussi « une manière de souligner notre soutien à Julien Assange en attendant le 20 février », assure Sabrina Pignedoli. Date décisive, le 20 février sonne l’alarme de l’ultime appel de Julien Assange pour empêcher son extradition. La Haute-cour britannique statuera au terme de deux jours d’audience sur la recevabilité de l’appel du journaliste incarcéré. En cas de refus, Julien Assange a la possibilité de contester la décision auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, mais cette possibilité reste encore très compromise, car elle dépend du respect de la procédure de la part du Royaume-Uni.
Sabrina Pignedoli, députée italienne du Mouvement 5 étoiles, à l'initiative de l'exposition L'affaire Assange : prix et distinctions. © Laura Beaudoin
L’urgence se ressent dans sa voix, l’inquiétude aussi : « On a très peu d’espoir. Stella Assange non plus n’est pas très optimiste », confie la députée italienne, qui manifestera son soutien devant la Cour britannique le 20 février. À l’ouverture de l’exposition mardi, Stella Assange est à la tribune, entourée de Sabrina Pignedoli et Stefania Ascari (également députée du mouvement italien 5 étoiles) pour rappeler que Julien Assange est le journaliste le plus primé du XXIème siècle. Dans le hall Winston Churchill, entre l’ascenseur et la passerelle qui surplombe le Rhin, les douze prix exposés tentent de réveiller les consciences. « Beaucoup de visiteurs et de parlementaires sont venus, sourit Sabrina Pignedoli. Mais malheureusement, les patrons des institutions européennes ne sont pas très solidaires », se désole celle qui inscrit Julien Assange en 2022 au Prix Sakharov, pour lequel il arrive finaliste. Si Sabrina Pignedoli s’engage aussi ardemment pour sa libération, c’est qu’elle y voit en réalité un combat personnel. Avant d’être élue député en 2019, Sabrina Pignedoli était journaliste. « C’est une question de droits de l’homme et de liberté de la presse. Le message qu’envoie la menace de cette extradition finalement, c’est que les journalistes sont menacés pour avoir dit la vérité », s’emporte l’Italienne.
Dénoncer l'hypocrisie du parlement européen sur le cas Assange
11 h 50, c’est l’heure de la photo. Quelques députés s’agitent au premier étage avant de rentrer dans l’hémicycle voter les motions concernant l’incarcération d’activistes bélarusses. #FreeJulienAssange, #Nao Extradiçao, #Liberdade para Julian Assange : sur les affiches improvisées, les messages de soutien se déclinent dans plusieurs langues. Depuis deux jours, des députés d’extrême gauche de différents pays européens « et quelques écologistes » se rassemblent pour alerter sur l’urgence du cas Assange. « Dix sur 705 députés, voilà à quoi ressemble le soutien du parlement européen envers Julien Assange », s’attriste Conti Lucq, bras droit de Sabrina Pignedoli. Membre du parti communiste portugais, Joao Pimenta Lopes, lui, est plus à charge contre les institutions européennes : « Nous sommes là pour dénoncer l’hypocrisie du parlement européen, qui prend position pour défendre des journalistes menacés dans le monde entier, alors que dans le cas Assange, on se confronte à un silence des institutions européennes. C’est bien le symbole que se cachent derrière des intérêts diplomatiques avec les États-Unis. » Mais si les soutiens des députés sont aussi timides, c’est peut-être parce que le cas Julien Assange divise. L’activiste a été accusé de viols par la justice suédoise, les poursuites à son encontre ont été abandonnées depuis. Questionné sur le sujet, Joao Pimenta Lopes élude gentiment. Le député portugais est pressé, le vote commence dans deux minutes.
Laura Beaudoin
Édité par Lisa Delagneau