Le délai de prescription pour diffamation a été allongé à un an pour les élus et candidats à une élection, le 7 février. Les avocats spécialistes du droit de la presse s’inquiètent.
Pour les spécalistes du droit de la presse, cet allongement du délai de prescription porte atteinte à la liberté d'expression. © Lisa Delagneau
« Quand vous savez qu’en face de vous, quelqu’un a un an pour vous poursuivre, vous ne prenez pas le risque de vous exprimer », juge maître Emmanuel Tordjman, réagissant au vote à l’Assemblée nationale du mercredi 7 février, concernant l’allongement du temps accordé à un élu ou candidat à une élection pour porter plainte pour diffamation. Jusque-là, la loi de 1881 sur la liberté d’expression limitait ce délai à trois mois.
Pour l’avocat spécialiste en droit de la presse Emmanuel Tordjman et sa consoeur Olivia Lévy, le plus inquiétant est que cet amendement incitera les citoyens et les journalistes à ne pas s’exprimer, pour éviter de faire l’objet d’une plainte.
« Un amendement-bâillon »
C’est d’ailleurs Médiapart, dont Me Tordjman est l'avocat, qui a contribué à médiatiser le vote controversé. Dans un article publié le 7 février, peu après le vote à l’Assemblée, le site a révélé le caractère expéditif des échanges lors du débat préalable — « dix minutes » — qui a mis vent debout les principaux syndicats de journalistes. « C’est clairement un amendement-bâillon », partage Vincent Lanier, membre du bureau national du Syndicat national des journalistes (SNJ).
Et pour cause, selon des membres de l’Association des avocats praticiens du droit de la presse dont font partie les maîtres Tordjman et Lévy. L’avocate dénonce l’inégalité de traitement judiciaire et donc le « désordre sociétal » que pourrait créer cette nouvelle disposition. « Dans un dialogue, si un élu injurie un journaliste, le premier pourra saisir la juridiction dans un délai d’un an. Dans le cas inverse, le second pourra la saisir dans un délai de trois mois. »
Plus généralement, les avocats y décèlent une dérive démocratique : « L’objectif de la loi 1881 n’est pas de protéger la réputation mais l’expression.» « On ne touche pas à la prescription car c’est le socle de la démocratie. Là on est dans le cas d’une forme de censure implicite », conclut Emmanuel Tordjman.
Zoé Dert-Chopin
Édité par Lisa Delagneau