25 mai 2012
Michel Mangenot est Maître de conférences en science politique à l'Université de Strasbourg (photo Lucie Marnas/Cuej)
La 7ème édition des rendez-vous européens de Strasbourg (RES) s'est achevée hier...Quel bilan pouvez-vous en tirer?
L'objectif de l'ENA et de l'Université de Strasbourg était d'attirer à la fois des professionnels et des analystes afin de confronter les regards des praticiens les plus engagés dans le processus européen. C'est ce qui fait la particularité des RES par rapport aux autres colloques. Il s'agit d'élargir le débat à tout le monde. Nous accordons une importance égale à toutes les institutions et fonctions publiques nationales et territoriales. Il s'agit d'un échange d'idée et de pratiques sur les questions européennes.
Les discussions ont porté sur la question des ressources humaines, à savoir la place des hauts potentiels dans les fonctions publiques européennes, ou encore sur celle de la formation des administrations nationales pour une meilleure application du droit communautaire. Depuis 2009, le colloque s'intéresse aux enjeux des présidences de l'Union européenne. J'ai d'ailleurs réalisé avec Véronique Charléty* un ouvrage, "Le système présidentiel de l'Union européenne après Lisbonne", dédié aux cinq niveaux de présidence.
Ces cinq niveaux de présidence, quels sont-ils? Quels en sont les enjeux, depuis l'adoption du Traité de Lisbonne?
Le niveau le plus élevé c'est la présidence stable du Conseil européen, assurée par Herman Van Rompuy. Vient ensuite le trio, qui regroupe les trois présidences semestrielles. Elles se mettent ensemble pour 18 mois. Sur ce point, le Traité de Lisbonne prévoit un dispositif permettant d'aller plus loin qu'un simple agenda commun. Les trois États peuvent en effet prendre des dispositions ad hoc afin de favoriser la collégialité de la présidence. Par exemple, la Pologne pourrait présider Ecofin pendant 18 mois. Cela correspond à la théorie développée par Ana Mar Fernandez Pasarin**, selon laquelle la présidence s'est européanisée: intergouvernementale, elle penche plus désormais vers la recherche de l'intérêt commun.
La présidence semestrielle est le 3ème mode. Avec Lisbonne, elle conserve presque toutes ses prérogatives sauf le conseil des Affaires étrangères, 4ème niveau de présidence, confié à Catherine Ashton. Elle a été nommée présidente de ce conseil pour 5 ans ce qui en fait, selon moi, sa casquette la plus importante car elle peut planifier et déléguer.
5ème niveau: la présidence de l'Eurogroupe. Sa particularité tient au fait que son président, Jean-Claude Juncker, n'a pas renoncé à sa fonction nationale. L'enjeu est: faut-il reproduire le modèle de Van Rompuy, qui a cessé toutes fonctions nationales? C'est une question importante de la communautarisation car on exerce différemment un mandat européen si l'on a un mandat national. Nos dirigeants doivent-ils être à temps plein? C'était une réflexion marginale avant Lisbonne.
La crise a-t-elle favorisée l'émergence de ces questions?
La crise force les acteurs européens à imaginer des solutions, pour le processus institutionnel, qui ne seraient pas envisagées si c'était la routine. Sans crise, on n'aurait pas eu l'émergence d'un groupe de travail autonome au sein de l'Eurogroupe chargé de préparer les sommets de la Zone euro. Son président, Thomas Wieser était haut fonctionnaire au Ministère des finances à Vienne. Il a stoppé sa fonction nationale. Rien qu'en terme d'agenda ça devient ingérable: à ce niveau de crise, on ne peut pas gérer des responsabilités européennes si on a un mandat national.
Pourtant, rien ne dit que Wolfgang Schäuble, pressenti pour remplacer Jean-Claude Juncker, acceptera de quitter ses fonctions nationales. François Hollande est partisan de l'autonomisation de cette fonction mais cette position s'explique plus par une considération de politique intérieure: ne pas laisser la présidence de l'Eurogroupe à un ministre allemand.
Vous parlez de plus de communautarisation. Pourtant le traité de Lisbonne renforce la place du Conseil européen. N'y a-t-il pas là un paradoxe? Et quelle marge de manoeuvre pour Herman Van Rompuy?
Sur ce point, deux thèses s'affrontent. Celle selon laquelle le conseil européen ne peut pas avancer sans un compromis franco-allemand et la thèse "bruxelloise": Herman Van Rompuy aurait affirmé une forme de talent à organiser, bien plus qu'un simple facilitateur.
Van Rompuy a la capacité à gérer un agenda, alors que traditionnellement c'était le rôle de la Commission. Par exemple, il a été le premier à se rendre à Paris pour rencontrer François Hollande, ce qui témoigne d'une certaine autonomie politique. La crise le contraint, comme elle contraint tous les acteurs européens, mais lui donne aussi la capacité de thématiser les conseils. Il dispose d'une vingtaine de collaborateurs, un cabinet très fort politiquement.
Plus personne ne le voit comme un simple chairman qui ouvre et clôture simplement les conseils européens. C'est déjà une victoire. De plus, comme il va entrer dans son 2ème mandat, il ne vit plus sous la contrainte d'une élection. Il ne pourra plus se représenter donc il n'a plus l'épée de Damoclès au dessus de sa tête. C'est totalement différent pour Barroso qui devra bénéficier du soutien des États pour la fonction qu'il envisage de briguer à la fin de son mandat. En 2013, la Commission sera finissante alors que Van Rompuy devra mettre en oeuvre le traité budgétaire et animer les sommets Zone euro.
L'élection de François Hollande entraîne-t-elle des changements d'équilibres au sein du Conseil européen?
C'est trop tôt pour le dire. Mais à chaud, on peut constater une certaine décontraction. François Hollande a essayé de décrisper le Conseil européen, d'en faire davantage un lieu de recherche de coalition qu'un espace de confrontation des intérêts nationaux.
Le couple Merkozy n'était pas très réputé pour la recherche de coalition. Le fait que Mario Monti, par exemple, s'ouvre aux propositions françaises montre que l'atmosphère se détend. On avait prévu de la crispation mais on a eu l'effet inverse. Ce n'est pas inédit dans l'histoire: en général, l'arrivée d'une nouvelle personnalité décrispe le jeu.
Cela provoque l'ouverture de l'organisation et les acteurs essayent de se repositionner. Les traités les contraignent mais le jeu permanent des institutions et des États fait que chacun cherche à retrouver la marge de manoeuvre qu'il a pu perdre dans de précédentes négociations.
Dans ces conditions, que peut-il se passer au prochain Conseil européen, prévu en juin?
Mon opinion est que la France et l'Allemagne ne vont pas vouloir perdre la face. L'Allemagne va vouloir garder le traité budgétaire, alors que la France cherchera à faire un geste pour la croissance. L'hypothèse la plus vraisemblable est un maintien du Traité avec la signature en grande pompe d'un protocole sur la croissance.
L'enjeu c'est la nature juridique du protocole. Pour la France, une simple conclusion du Conseil européen ne sera pas suffisante et elle va peut-être réclamer l'intégration du protocole au traité. Le danger d'une renégociation c'est que chacun retrouve sa marge de manoeuvre et certains peuvent exiger autre chose. Le protocole permettrait de ne pas réouvrir la boîte de Pandorre et d'affirmer que la France respecte ses engagements.
Propos recueillis par Lucie Marnas
*Véronique Charléty est chef du service "Gouvernance européenne", Direction des affaires européennes à l'ENA
**Ana Mar Fernandez Pasarin est associée au Centre d'études européennes de Sciences Po Paris et enseigne à l'Université autonome de Barcelone