08 février 2013
Emir, qui réglemente les produits dérivés, sera appliqué dès mars prochain. Il s'en est fallu de peu, cette semaine, qu'il ne soit indéfiniment retardé par un Parlement attentif aux lamentations de l'industrie.
En matière de régulation financière, le juste milieu est difficile à atteindre. Le Parlement en a fait l’expérience cette semaine, alors qu’il débattait sur la nécessité ou non de remettre en cause les mesures d'application définies par l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) en décembre dernier pour sécuriser les produits dérivés. Le développement incontrôlé de ces outils de pari sur l'évolution des prix est pointé du doigt comme l'une des principales causes de la crise financière. Les membres du G20 s'étaient engagés à les encadrer.
Le 4 juillet 2012, le Parlement et le Conseil s’accordaient sur le réglement Emir, un arsenal législatif destiné à baliser cet encadrement. La création de chambres de compensation, intermédiaires obligées entre les gros parieurs, chargées d'enregistrer leurs contrats et d'assurer qu'ils sont solvables en cas de perte, en est le pilier de base. Les deux législateurs ont donné mandat à la Commission de définir précisément les modalités concrètes du contrôle qu'elles devront exercer pour prévenir la spéculation excessive.
Par cette réforme, l’Union européenne souhaite s’assurer de la transparence des contrats dérivés dont l'essentiel se conclut pour l'instant de gré à gré, soit directement entre deux intervenants sur le marché, et donc hors de tout contrôle.
Dommages collatéraux
Mais cette régulation, qui vise les spéculateurs, touche aussi des entreprises bien ancrées dans l’économie réelle, comme les compagnies aériennes ou les opérateurs de gaz. Les produits dérivés, comme les paris sur le cours des changes, constituent souvent pour elles des contrats d'assurance destinés à couvrir les risques liés à leurs activités internationales et à la durée de leurs engagements. Du moins ne cessent-elles d'en arguer pour soustraire le maximum de leurs opérations à cette réglementation.
Cette fois, elles estimaient les normes de l'AEMF, endossées par la Commission, plus strictes que voulu par Emir. Au cœur de leurs préoccupations: la hauteur des garanties à immobiliser sur chaque contrat, qui risque de phagocyter leurs actifs et de renchérir le coût du crédit.
Les inquiétudes formulées par les industriels ont trouvé une oreille bienveillante au Parlement. Lundi dernier, Werner Langen, député allemand du PPE, faisait adopter par sa commission des affaires économiques une résolution appuyée sur leurs arguments et destinée à bloquer l’entrée en vigueur de ces standards. L' initiative était par ailleurs inédite, remettant en cause pour la première fois des décisions déléguées à la Commission, au motif que celle-ci n’avait pas laissé suffisamment de temps au Parlement pour examiner leur contenu. Une démarche qui doit être adoptée dans les 30 jours après notification d'une décision par la Commission.
Immédiatement, un vent de panique soufflait sur Bruxelles: un rejet de ces normes techniques par le Parlement, lors d'un vote inscrit à l'ordre du jour de jeudi, aurait eu pour principale conséquence de retarder l'application d'Emir. Michel Barnier, commissaire au marché intérieur, montait en personne au créneau. C'était le crédit de l'Union, liée par ses engagements au G20, qui se trouvait tout entier engagé.
« L’Union est actuellement dans des négociations avec les Etats-Unis pour définir des standards de régulation financière conformément aux objectifs de réforme fixés par le G20 en septembre 2009, explique Jean-Paul Gauzès, coordinateur du groupe du PPE à la commission Affaires économiques et monétaires. En retoquant les standards de la Commission, nous risquions la crédibilité de l’Europe et un retard dans les négociations.”
Machine arrière
L'argument a porté. Werner Langen n’a pas réussi à rassembler autour de lui une majorité suffisante pour approuver sa résolution. Le vote n'a donc pas eu lieu. La Commission peut désormais publier ses décisions au Journal officiel de l'Union, Elles rentreront en vigueur 20 jours après. L'application d'Emir dès mars prochain est désormais une certitude, avec pour objectif une mise en vigueur totale mi 2014.
Il aura tout de même fallu que Connie Hedegaard, commissaire au climat, intervienne devant le Parlement pour rassurer les députés. La Commission s'est engagée à améliorer la coopération avec le Parlement sur les actes qu'il lui délègue et à adopter “des dérogations spécifiques pour les firmes non financières”, tout en maintenant que les normes juridiques préparées par l’AEMF restent la référence.
Après le haro général sur les excès de la spéculation financière, l’Union européenne est ainsi confrontée aux dommages collatéraux que peut provoquer l’encadrement de ces pratiques. Si la mise en place de dérogations spécifiques pour les entreprises non financières peut se justifier, tout l’enjeu reste de ne pas créer une brèche où s’engouffreraient sans hésiter les acrobates de la finance.
« La décision de retirer cette résolution est une victoire pour l’économie réelle », a commenté Joost Mulder, directeur des relations publiques de Finance Watch, un lobby qui défend l’intérêt public. « Elle rendra plus difficile à l’industrie non-financière d’utiliser ses activités dans l’économie réelle comme excuse pour permettre à ses services financiers de spéculer sur les marchés financiers ».
Hélène Bonnet et Hélène Goutany